Coproduite avec le Musée d’art contemporain (Smak) de Gand et le Kunstverein de Munich, l’exposition consacrée par le Frac Pays de la Loire à Johannes Kahrs offre l’occasion de découvrir dans sa globalité un travail entamé il y a une dizaine d’année. Multipliant avec aisance les supports, l’artiste y démontre sa capacité à investir les images collectives.
NANTES - Mimant la forme des “statements” conceptuels, Johannes Kahrs a peint une énonciation froide sur la surface de Sans titre (Image d’un texte Scénario), une toile de 1994 choisie pour introduire la première exposition monographique en institution en France de cet artiste allemand : “Supposons un homme en train d’abattre un autre homme à 12 mètres de distance. A. - Habillé, ligoté, le visage découvert ; B. - Habillé, ligoté, le visage couvert ; [...] G. - Nu.” Le tableau donne un avant-goût juste d’une œuvre où la peinture et le dessin se plaisent à évoquer le cinéma, et où la vidéo renvoie à la peinture. Réalisée en 1999, Fuck You - Audience Depression montre une comédienne rejouant Tim Roth dans Reservoir Dogs, en jurant jusqu’à la mort “fuck you, fuck you, I fucking die”. Assis dans un coin pendant le prologue qui précède le générique, puis posant avec attention de la couleur rouge sang sur l’actrice, Johannes Kahrs apparaît constamment à l’écran, jouant les réalisateurs/bourreaux. Sans se soucier de la perche qui rentre dans le cadre, il demande au cameraman de continuer à filmer la jeune femme. Dans un état d’agonie prolongé par la peinture, celle-ci est rapidement prise dans un dispositif qui dépasse le simple remake distancié pour placer le spectateur dans la situation indélicate du voyeur. Une posture également suggérée, entre obscurité et lumière, dans Schwarze Loch - Weiße Wand (Trou noir, mur blanc), un grand fusain de 1997 qui prend comme sujet un spectateur de peep-show, comme dans ses variations autour de l’Origine du monde de Courbet.
Servi par une virtuosité indéniable, le travail graphique de l’artiste profite toutefois de son insertion dans le contexte de l’exposition qui prend soin de multiplier les allers-retours d’images – le portrait du guru Asahara ou du top-model Stephanie Seymour – entre films, journaux, cimaises et espaces urbains. Saisie dans Shave (1995), une image du Mari de la coiffeuse de Patrice Leconte devient, le temps d’une peinture, l’évocation d’une torture quotidienne : une scène de rasage aux déformations anatomiques proche de l’univers de Bacon.
Plus loin, dans le dernier des trois espaces construits dans la salle d’exposition du Frac Pays de la Loire, Hula Girl (2000), sortie de Eraserhead de David Linch, 93’09’’ (Taxi Driver) (1997), extrait du film de Scorcese, deux peintures aux formats monumentaux, jouent elles aussi de ces passages de l’image. Issue de One plus One de Jean-Luc Godard, la scène d’enregistrement de Sympathy for the Devil par les Rolling Stones est, elle, décomposée en un diptyque intitulé La Révolution permanente (2000). Dans cette stéréo visuelle, Mick Jagger boit son café, avant de chanter dans un mouvement d’invocation sur le panneau de droite. Les aplats vibrent, et le costume blanc virginal du leader du groupe anglais tranche avec les panneaux rouges. Outre l’ellipse temporelle entre les deux toiles aux formats imposants, impossible ici de se contenter de l’idée d’un simple arrêt sur image. Entre le cinéma et la peinture, rien ne se perd, rien ne se crée, mais tout se transforme.
- A - H, JOHANNES KAHRS, Frac Pays de la Loire, La Fleuriaye, Carquefou, tél. 02 28 01 50 00, jusqu’au 3 juin 2001, du mercredi au vendredi de 13h à 18h et de 15h à 19h le dimanche, catalogue, n. p., 100 francs.
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Sympathie pour le diable
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°125 du 13 avril 2001, avec le titre suivant : Sympathie pour le diable