Des figures familières, mais graves, réunies dans un terrain de jeu peu avenant. À la galerie Laurent Godin, à Paris, Sven ’t Jolle (né en 1966) fait de la sculpture et du dessin le vocabulaire d’un commentaire social tranchant.
Un élément essentiel de cette exposition est la figure de la mère, qui est là mise en perspective avec le terrain de jeu figuré par un grillage peint au mur. Que représente précisément cet espace ?
Ce projet a commencé en effet avec l’idée du terrain de jeu comme espace commun, et le titre « Aires austères » était une manière d’ouvrir vers un autre type d’espace et de l’envisager aussi simplement comme un espace mental ; y compris dans un lieu tel qu’une galerie, qui est certes un lieu public mais n’est finalement pas si ouvert que cela. Mais le vrai départ a été un terrain de jeu installé dans un centre de détention en Belgique, que j’ai recréé sur une plage avec un peu la même idée que ce qu’avait fait Martha Rosler avec sa série Bringing the War Home, qui étaient des collages d’intérieurs modernes américains avec des images de soldats combattant au Vietnam. Ce centre de détention durant la saison estivale était un moyen de confronter le public à quelque chose qui se passe au même moment, pas très loin. Le terrain de jeu comme espace offre en outre métaphoriquement beaucoup de possibilités, dans l’histoire de l’art et visuellement. J’aime l’expression en français « artiste plasticien », car pour moi il ne s’agit pas seulement de faire une image, mais aussi de comment travailler artistiquement avec l’image d’un terrain de jeu.
Pour quelle raison la figure de la mère est omniprésente dans les sculptures qui peuplent cette exposition ?
Un terrain de jeux signifie des enfants, qui évidemment sont accompagnés de leur mère ; c’est une manière douce d’introduire le sujet. Je voulais faire quelque chose à propos de l’austérité et j’aime beaucoup l’œuvre de Julio Gonzalez, surtout car il a travaillé autant dans les champs du dessin que de la sculpture, et qu’il a influencé un genre de réalisme social tout en étant en même temps un exemple pour David Smith et des pionniers de l’art abstrait. Il a fait des dessins de petites sculptures intitulés Portraits austères, où le qualificatif se réfère là à l’aspect des personnages. J’ai voulu retrouver ce caractère dans ces œuvres, comme un symbole ou une métaphore de la « Mère austère », qui était le titre de mon exposition à Toulouse [au BBB, où fut présentée en 2014 une version élargie de ce projet], comme une mauvaise mère en référence à des conditions socio-économiques, mais aussi à une sorte de relation non sentimentale. Une autre manière de regarder cela est le résultat de l’austérité, je voulais donc couvrir plusieurs significations de ce que peut être l’austérité, tout en y ajoutant en arrière-plan l’idée de la mère courage, qui chez Brecht n’est pas non plus une figure sympathique.
Votre sculpture se réfère à des formes culturelles très diverses : art moderne, populaire, arts premiers… Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce mélange de références et d’atmosphères visuelles ?
Peut-être ce mélange est-il simplement le résultat de ce que j’aime et de ce que je n’aime pas. Se référer à des formes du passé ou d’autres contextes culturels permet aussi de commenter notre contemporain. Mon travail se développe à partir de cela. Et bien entendu les choix que j’opère d’une certaine manière se rapprochent de ce que je peux faire aisément avec mes propres mains ou un crayon ; une pure pratique artistique visuelle. Par exemple, je suis allé voir hier l’exposition « Jeff Koons » [au Centre Pompidou] ; là l’artiste est plus comme un manager d’images qui choisit le meilleur et la perfection dans la qualité et la disposition des œuvres. Et dans l’accrochage des collections, « Modernités plurielles », j’ai reconnu beaucoup de choses vues sur Internet, comme de petits jouets de Torres García ou des masques de Derain qui sont pour moi beaucoup plus inspirants. J’aime que l’on ait un peu d’intimité avec les choses.
La plupart du temps vos sculptures sont presque à taille humaine, un peu plus petites, et toujours directement posées sur le sol. Est-ce une manière de les confronter plus directement avec le public ?
Exactement ! C’est aussi car j’ai besoin de travailler avec l’œuvre en face à face et que je ne suis pas très grand. Ne pas utiliser de socle est une façon de donner une égalité avec un objet dans l’espace, tandis qu’un socle isole et quelque part met la sculpture hors de l’espace.
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Sven ’T Jolle : « J’aime avoir un peu d’intimité avec les choses »
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 7 mars, Galerie Laurent Godin, 5, rue du Grenier Saint-Lazare, 75003 Paris, tél. 01 42 71 10 66, www.laurentgodin.com, tlj sauf dimanche-lundi 11h-19h.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°428 du 30 janvier 2015, avec le titre suivant : Sven ’T Jolle : « J’aime avoir un peu d’intimité avec les choses »