Le Musée Fesch présente la première grande exposition personnelle d’Ange Leccia en Corse. Natif de l’île, l’artiste propose une nouvelle série d’œuvres constituées de photographies et de vidéo-projections dans lesquelles les éléments naturels se déchaînent.
AJACCIO - Conçue comme un parcours initiatique, l’exposition d’Ange Leccia se ressent plus qu’elle ne s’analyse, jouant volontiers sur le registre de la perception. Le dispositif, simple – trois salles en enfilade, plongées dans l’obscurité accueillent chacune d’elles deux vidéos projetées côte à côte sur un mur – guide le spectateur à travers un flot d’images qui finit par le submerger. Cette sensation se trouve amplifiée par la nature même des images qui mettent en scène des éléments déchaînés : la mer, la fumée, l’orage. Monté en boucle, chacun des films offre une succession de séquences où l’on voit alterner cette fureur s’exprimant aussi bien dans les formes (les volutes de fumées) que dans le son (le bruit des éclairs). L’angoisse de l’étouffement et les peurs ataviques de la nuit et du tonnerre ne sont certainement pas étrangères aux sentiments mêlés qui se dégagent de cette œuvre. Et comme pour mieux souligner ce chaos, l’artiste a inséré dans sa vidéo un extrait de Naples au baiser de feu, film noir et blanc datant des années 1930. À la détonation des éclairs succède le chant mielleux de Tino Rossi, l’un des interprètes du film. Le temps suspend son vol pendant un court instant. Le silence se fait, et l’image ralentie s’attache aux gestes d’un personnage féminin rendu énigmatique par l’intervention d’Ange Leccia. Par la seule juxtaposition des images montrées de façon duelle, l’artiste parvient à conférer aux images un statut et un pouvoir différents. Le jeu acquiert une dimension supplémentaire du fait du recyclage constant qu’Ange Leccia fait de ses œuvres, puisant sans relâche dans le corpus d’images, coupant et remontant les plans comme un metteur en scène pour faire naître un nouveau regard sur son travail. Ainsi, on retrouve des images familières comme celles de La Fumée, mais dans un contexte tout à fait différent, ou encore La Mer, constituée de nouvelles prises, mais qui repose sur le même concept (le point de vue renversé à 45°). De ce système clos, en boucle, qui se nourrit de quelques apports extérieurs sans renoncer à ce qui le constitue à la base, émerge une certaine mélancolie qui trouve un parfait écho dans l’exposition. À force de répétition, les éléments finissent par perdre leur nature intrinsèque : la fumée devient liquide, les volutes s’apparentant au bouillonnement de l’écume, et la mer conquiert les sommets en devenant aérienne. Mais au-delà de l’aspect formel et sensoriel, on ne peut échapper à la tentation de l’analyse symbolique et contextuelle. L’œuvre s’ancre volontairement en Corse : les vues de la mer prises du haut des falaises de Nonza, mais aussi le choix du film qui évoque sans le montrer une des gloires de l’île dans une ville, Naples, qui partage de profondes similitudes avec la Corse. Violente et douce à la fois, l’exposition offre un regard sur cette île empreint de nostalgie, d’interrogations et de perplexité.
- Ange Leccia, les ÉLÉMENTS, jusqu’au 30 janvier 2002, Musée Fesch, 50-52 rue du Cardinal-Fesch, 20000 Ajaccio, tél. 04 95 21 48 17, du mardi au samedi de 9h15 à 12h15 et de 14h15 à 17h15, www.musee-fesch.com. ,cat., 94 p.
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Stupeur dans l’île
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°139 du 21 décembre 2001, avec le titre suivant : Stupeur dans l’île