Le Frac Limousin propose la première présentation en France des œuvres de Steven Pippin, artiste anglais de 35 ans. Après Portikus à Francfort, et avant le MoMA de San Francisco, son activité, souvent réduite à la seule transformation d’objets en appareils photographiques, s’impose ici dans ses multiples dimensions : objets convertis en sténopés, films et vidéos, machines sonores, plus quelques tirages…
LIMOGES - Le premier objet que Steven Pippin a transformé en appareil photographique fut la baignoire familiale, en 1983. Il avait alors dû rester debout, en équilibre sur le bord, nu et immobile, pendant les 90 minutes du temps de pose nécessaire. Déjà tenté de se confronter à l’espace public, il a renouvelé l’expérience sur la plage de Brighton. Le résultat rappelle étrangement l’Autoportrait en noyé d’Hippolyte Bayard (1840).
La pertinence de cette exposition tient au fait qu’elle détaille la plupart des expériences de Pippin, mais en sachant éviter d’en fixer le résultat. On comprend vite que les quelques épreuves grises obtenues, souvent rayées ou tachées, peu lisibles à première vue, ne peuvent justifier à elles seules les patients trafics de l’auteur. Pas plus que leur sujet : souvent des portraits en pied, flous, de l’artiste lui-même, quand il ne s’agit pas de l’intérieur d’un lavomatic ou du plafond des toilettes.
L’œuvre oscille donc entre les objets qu’il "squatte" temporairement, et les films ou vidéos qui documentent un "acte photographique" confinant souvent à la performance (transformer les toilettes du train Brigthon-Londres en camera oscura, puis développer l’image en diluant le révélateur dans la chasse d’eau).
Dérision
C’est dans un rapport analogique à l’appareil photographique (le hublot de la machine à laver avec l’objectif) et au processus de développement (le cycle de lavage, où révélateur et fixateur remplacent lessive et adoucissant) que s’immisce une forme de dérision à l’égard du médium, bien plus que de nostalgie pour les premiers soubresauts de la photographie. Des constructions plus récentes montrent par ailleurs l’intérêt plus général de Pippin pour l’image et le temps.
Comme la pièce Time and Motion (1985), où le mouvement d’une horloge, filmé en vidéo douze heures durant, se voit annulé par la rotation du moniteur sur lui-même, à raison d’un tour par minute, dans un mouvement de va-et-vient le long d’un châssis métallique.
De chacune de ces inventions filtre un peu de la personnalité maniaque de leur "opérateur", comme se désigne Pippin. Il affiche sur tous les documents ce fameux flegme britannique, vêtu d’un complet sombre qui, dans les lieux publics, lui permet de passer pour un technicien de maintenance. Ultime sphère de son activité où l’on pourra tenter de le cerner : les textes qu’il publie dans le catalogue, d’une justesse et d’un humour qui se raréfient chez ses contemporains.
"Steven Pippin, Study in Time and Motion", jusqu’au 1er juillet. FRAC Limousin, Impasse des Charentes, 87100 Limoges. 12h-19h sauf dimanche et lundi, samedi 14h-19h. Catalogue bilingue français / anglais, Éditions du FRAC Limousin, textes de Frédéric Paul et Steven Pippin, 108 p., 35 ill. coul., 70 ill. n & b, 100 F jusqu’au 1er juillet, 120 F après.
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Steven Pippin : l’opérateur à l’épreuve
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°15 du 1 juin 1995, avec le titre suivant : Steven Pippin : l’opérateur à l’épreuve