A travers un double parcours, les musées de Cluny et d’Ecouen décryptent les rituels du bain et soins du corps de l’Antiquité à la Renaissance.
PARIS/ECOUEN - Après une première exposition commune en 2007 (lire le JdA n°267, 19 octobre 2007, p. 6), le Musée de Cluny et le Musée-Château d’écouen poursuivent leur collaboration à propos des cosmétiques et des soins apportés au corps de l’Antiquité à la Renaissance. Un sujet séduisant, beaucoup moins superficiel qu’il n’y paraît. « Il s’agit d’un thème universel qui touche à une dimension centrale de notre quotidien à tous, hommes et femmes : la manière dont on s’occupe de soi pour se prouver qu’on est encore en vie. Nous ne sommes pas dans l’illustration, mais dans la réflexion », précise Isabelle Bardiès-Fronty, conservatrice en chef au Musée de Cluny, à l’origine du projet avec Philippe Walter, chercheur au CNRS-C2RMF. La manifestation est étroitement liée à la restauration du frigidarium des thermes de Cluny (lire l’encadré). Les commissaires ne pouvaient rêver meilleur endroit pour évoquer cet idéal de la beauté gréco-romaine que L’Aphrodite de Cnide résume au mieux. Figure sensuelle dont la nudité aurait créé l’émoi parmi les visiteurs du sanctuaire de Cnide (Asie mineure), cette œuvre de Praxitèle – dont est présentée ici une copie romaine en marbre du Ier-IIe siècle de notre ère – introduit le visiteur à un premier volet consacré à la tradition du bain. Répondant d’abord à des règles d’hygiène, le bain est aussi un moment de plaisir et de sociabilité. Les usagers des thermes disposaient d’une panoplie complète d’ustensiles : strigile, miroirs, cure-dent-cure-oreille, pince à épiler, pierre ponce, exposés au côté d’aryballes (vases à onguent), de balsamaires (flacons à parfum) et d’ampoules à cosmétiques. Philippe Walter livre les résultats des analyses scientifiques menées depuis dix ans sur les résidus conservés d’huiles parfumées, onguents pour la peau, fards, poudres… Ses examens révèlent une grande sophistication des savoir-faire servant à élaborer ces cosmétiques, que les artistes eux-mêmes ont utilisés dans leurs œuvres. à mi-chemin entre science, art et archéologie, le parcours du frigidarium a recours à de petits films explicatifs parfaitement insérés à la scénographie. Le propos se poursuit dans les salles de l’hôtel de Cluny avec la période médiévale.
Ruptures et continuités
Le luxe ostentatoire déployé pour la toilette est fermement condamné par saint Augustin, pour qui « la vraie parure, surtout des chrétiens et des chrétiennes, ce n’est point le charme menteur du fard, ni l’éclat de l’or, ni la richesse des étoffes, ce sont les bonnes mœurs ». La figure de Marie-Madeleine dépeinte par Quentin Metsys incarne à elle seule l’image du repentir et du renoncement aux plaisirs, tandis que Suzanne et les Vieillards est une iconographie récurrente, notamment sur les coffrets de mariage. Malgré les interdits de l’église, le bain médiéval et le soin apporté à la toilette s’inscrivent dans la tradition antique. En témoignent la variété et la sophistication des coiffures féminines des bustes reliquaires de sainte Mabille (fin XIVe) et sainte Constance (fin XVe), mises en regard de la Marie-Madeleine sculptée en bois conservée à Cluny (fin XVe). Cette dernière aurait aussi bien pu être présentée à écouen, où se poursuit la démonstration pour la période Renaissance.
Le Musée-Château d’écouen, qui a rejoint Cluny dans ce projet en 2007, décrypte le cérémonial de la toilette à travers gravures et tableaux, objets d’art, manuscrits et imprimés. Héritiers de la botanique, les traités de cosmétologie détaillent les recettes des parfums et maquillages, et les gestes qui les accompagnent. Ces textes ont été très critiqués pour leur manque de sérieux, voire le danger de certaines matières recommandées, tels le mercure, l’arsenic ou le carbonate de plomb. Parmi les pièces spectaculaires réunies à écouen, citons le coffret-nécessaire de toilette de Mathias Walbaume (vers 1595-1600), prêté par Bâle, et les pommes de senteurs à plusieurs compartiments (renfermant chacun une décoction particulière) élaborés en Allemagne ou dans les Pays-Bas. Qualifiés de « parures parfumées dignes de véritables bijoux » par Michèle Bimbenet-Privat, conservateur en chef du Musée national de la Renaissance, ces objets portés près du corps étaient censés protéger des maladies. Comme pour les périodes précédentes, les codes de beauté reposent sur ce délicat équilibre, décrit par Isabelle Bardiès-Fronty et Philippe Walter, entre « l’hygiène et le plaisir d’un bain, la recherche d’un onguent soignant la peau et la quête d’une couleur à la mode pour le visage ou le cheveu, l’érotisme discret d’une huile parfumée et le charme vertueux d’une femme noble ». Autant de façons d’éloigner la mort.
LE BAIN ET LE MIROIR, SOIN DU CORPS ET COSMéTIQUE, jusqu’au 21 septembre, Musée de Cluny – Musée national du Moyen Âge, 6, place Paul-Painlevé, 75005 Paris, tél. 01 53 73 78 16 / Musée national de la Renaissance – Château d’écouen, 95440 Château-d’écouen, tél. 01 34 38 38 50. Catalogue, éd. Gallimard, 354 p., 49 euros.
LE BAIN ET LE MIROIR
- Commissaires : Isabelle Bardiès-Fronty, conservateur en chef du Musée de Cluny, Michèle Bimbenet-Privat, conservateur en chef du Musée national de la Renaissance-Château d’écouen, et Philippe Walter, directeur de recherches au CNRS, Centre de recherche et de restauration des musées de France
- Nombre de pièces exposées :Cluny : 194, Ecouen : 130
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Spécial beauté
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Abonnez-vous dès 1 €Restauré en 2008, le frigidarium des thermes de Cluny a été inauguré en mai 2009 avec cette exposition sur les cosmétiques et soins du corps dont il a été la source d’inspiration première. érigés probablement vers la fin du Ier siècle, en fonction jusqu’à la fin du IVe siècle, les thermes publics de Cluny étaient les plus grands de Lutèce et couvraient une superficie totale de 6 000 m2 (entre les actuels boulevards Saint-Germain et Saint-Michel, l’hôtel de Cluny et la rue des écoles). Salle par laquelle les usagers pénétraient dans les thermes, le frigidarium est le seul vestige encore conservé en élévation. D’une surface de 250 m2, il révèle les dimensions et volumes de l’architecture romaine, avec une voûte dépassant 14 mètres de haut. Ses parements internes ont été traités et consolidés, les huisseries métalliques des baies ont été restaurées et les verrières remplacées. L’opération a révélé de nouveaux tons sur les enduits des murs, des restes de décors ainsi qu’une baie en direction du caldarium (dédié aux bains chauds). Les étapes de la construction des thermes ont ainsi pu être précisées.
Au château d’écouen, de nouvelles salles de l’appartement des bains aménagé par Anne de Montmorency (1492-1567) sont accessibles au public le temps de l’exposition. Dans un bon état de conservation, ces pièces témoignent des changements introduits dans l’architecture civile à la fin de la guerre de Cent ans, notamment de l’apparition d’appartements de bains et d’étuves avec adduction d’eau, de baignoires et de pièces chauffées par hypocauste, comme l’explique Thierry Crépin Leblond, directeur du Musée national de la Renaissance. Qui précise : «La qualité et la commodité de ces espaces, leur architecture à la fois sobre et raffinée permettaient au connétable d’offrir à ses hôtes un délassement à l’antique, digne de la "nouvelle Rome" qu’était devenu le royaume de France. »
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°305 du 12 juin 2009, avec le titre suivant : Spécial beauté