La Maison de Victor Hugo confronte les dessins du poète aux silhouettes sombres de Louis Soutter. Un pas de deux émouvant placé sous le signe du génie et de la folie.
PARIS - Pourquoi rapprocher deux hommes que tout semble opposer ? Leur naissance (Louis Soutter naît en 1871 à Morges en Suisse, Victor Hugo en 1802 à Besançon) comme leur parcours : l’un est un ancien violoniste suisse accidenté de la vie et reclus dans la solitude d’un asile ; l’autre un écrivain mondialement reconnu et adulé. Est-ce « le génie » qui les réunit s’interroge Gérard Audinet, co-commissaire de l’exposition et directeur de la Maison de Victor Hugo ? « Le génie et (la) folie », écrit Louis Soutter en lettres capitales sur un de ses nombreux cahiers d’écoliers sur lesquels il évoque Notre-Dame de Paris et Quatre-vingt-treize. À l’entrée de l’exposition, le visiteur est accueilli par un Hugo puissant, barbu et grisonnant qui masque en partie un Soutter, photographié le visage émacié, dissimulant sa déprime sous un chapeau melon. Le Suisse a représenté le poète français en buste aux côtés d’Homère, Tolstoï et Rodin dans un étrange dessin violemment hachuré figurant les héros de son panthéon personnel.
Aux frontières de l’art
Toux deux ont pratiqué le dessin, dans la solitude, en marge. Un dessin visionnaire imprégné de la même intensité dramatique. Un dessin où le noir et les teintes foncées dominent. « L’art commence où finit la vie », écrit Louis Soutter au verso d’une de ses feuilles. C’est en 1923, dans le Jura Vaudois à l’asile des vieillards de Ballaigues où il est interné, qu’il commence à dessiner. L’œuvre graphique de Victor Hugo prendra, elle, véritablement forme au retour de ses voyages du Rhin entrepris à la fin des années 1830. « Parallèles », la seconde étape de l’exposition, montre que les deux artistes ont puisé dans les mêmes viviers, partagé les mêmes sources d’inspiration : bourgs perchés, clochers et silhouettes d’églises saisis à contre-jour, villes imaginaires et architectures orientales. Des thématiques communes, mais des styles très différents. Soutter, peintre du trait, privilégie les hachures et griffures brutales et les longs écheveaux nerveux. Hugo, « peintre de la tâche, joue sur l’encre qui fuse et la cuisine des effets de matière », souligne Gérard Audinet.
On retrouve chez les deux artistes la même empathie pour une humanité souffrante, tourmentée par les passions et ballotée par l’histoire. Le même pacifisme aussi. En exergue d’une citation du poète Novalis – « L’homme est le but final de l’histoire du monde, l’Amen de l’univers » – Soutter déploie sur la page imprimée un groupe de personnages en mouvement, reliés entre eux par un entrelacs de fines hachures. Tous deux partagent une passion pour l’Orient et pour la femme qui cristallise leurs désirs et inspire à la fois espoir et désarroi à Louis Soutter.
Ils jettent des ponts entre dessins et poésie, vouent la même flamme pour Shakespeare et exécutent tous deux des dessins aux doigts. Aux silhouettes sombres et archaïques de Soutter s’agitant dans un espace pictural abstrait répondent les ombres de Victor Hugo qui creusent « dans une profondeur où les hommes ne vont pas » (La Légende des siècles).
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Soutter et Hugo, deux dessinateurs visionnaires
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 30 août, Maison Victor Hugo, 6, place des Vosges, 75004 Paris, tél 01 42 72 10 16, tlj sauf lundi 10h-18h, www.musee-hugo.paris.fr. Catalogue, éditions Paris musées, 160 p, 35 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°436 du 22 mai 2015, avec le titre suivant : Soutter et Hugo, deux dessinateurs visionnaires