En 1878, l’artiste belge Félicien Rops (1833-1898) est installé à Paris. Il donne naissance à une de ses œuvres phares : la Pornocratès ou La Dame au cochon.
Une grande femme nue, affublée de gants et de bas noirs, les yeux bandés, tient en laisse un cochon à la queue dorée. Ce « demi-nu », contemporain de l’Olympia de Manet, sonne tel un véritable pied de nez aux valeurs bourgeoises d’une XIXe siècle finissant ainsi qu’à l’académisme qui régnait alors dans les arts. Fleuron des collections du Musée Félicien Rops, cette aquarelle fait en ce moment l’objet d’une exposition-dossier qui permet d’évaluer sa diffusion et sa postérité. Si le circuit emprunté au départ par cette œuvre fut confidentiel, très vite Félicien Rops orchestre tout un système de reproduction qui a certainement participé à perpétuer sa sulfureuse réputation. On découvre au fil du parcours différents types de reproductions et, en particulier, une vingtaine de gravures en couleur réalisées par Albert Bertrand, seul graveur autorisé par l’artiste à mener une telle entreprise. À ces reproductions se mêlent quelques œuvres d’artistes belges contemporains qui se réfèrent explicitement à cette image désormais iconique. Pol Bury s’adonne à toute une série de déformations de l’œuvre originale. Jacques Charlier imagine en 2000 à Eulen une performance-hommage dont sont présentées les traces et les reliques. Jacques Lennep s’amuse à détourner la phrase « tout est bon dans le cochon », tandis qu’un faux journal télévisé, « Bye Bye Belgium », qui annonça en 2006 la fin de la Belgique, se clôture par une animation de la Dame au cochon en guise de générique de fin. On aurait pu attendre une exploration des résonances de cette Pornocratès dans l’art contemporain de manière moins directe, comme par exemple avec les tatouages sur peau de cochon de Wim Delvoye, mais ce sera pour une autre fois. Quoiqu’il en soit, les œuvres rassemblées donnent à percevoir une communauté d’esprit faite d’humour, de subversion et d’impertinence joyeuse, qui pourrait bien être une forme de « belgitude ».
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°712 du 1 mai 2018, avec le titre suivant : Sous les charmes de Félicien Rops