Marilyn Monroe et Clark Gable au seuil de sa vie, une atmosphère sur le fil du rasoir en plein désert américain pour les mythiques Désaxés de John Huston. Une chevauchée fantastique mortelle – Orange mécanique – ou la chape de plomb qui couvre l’hôtel effrayant de Shining en hommage au maître Kubrick. L’ambiance est lourde, névrotique et dessine le paysage blessé de « Brainstorming », face obscure du premier volet plus optimiste, programmé l’hiver dernier, « Regarde il neige ». « La topographie de la morale » dessinée au printemps est plus désenchantée, réaliste aussi. Comme à son habitude Guy Tortosa, le directeur des lieux, mélange sans vergogne les genres et les époques, tend des perches évidentes au milieu d’un réseau touffu de suspicions, d’allusions, d’indécisions. Les grands formats de paysages urbains signés Balthasar Burkhard, les vidéos Walden de Jonas Mekas (1969), le cube de condensation d’Hans Haacke (1964) côtoient les photographies très léchées et troublantes de Mathieu Bernard-Reymond (prix CCF 2003) où un paysage est recomposé à partir de différents clichés pris à quelques secondes d’intervalle. Les châteaux d’eau new-yorkais des époux Becher, monuments noir et blanc photographiques n’ont aucune peine à communier avec une installation de James Turrell issue de la série des Divisions d’espace.
Les liens se font et se défont à mesure que l’esprit travaille.
Les héroïnes d’Antonioni et Huston souffrent, une vidéo de Philippe Meste bombarde de missiles l’espace sonore ; paysages urbains, industriels, ruraux, mentaux, synthétiques ou cyniques à la Lavier entrent en scène dans une sarabande entêtante et désespérée. Il y a un moment où le cerveau est comme dans un cyclotron (accélérateur de particules) et finit par se vautrer sans culpabilité dans la surinterprétation.
Stupeurs et tremblements, le paysage devient digestible sous la forme homéopathique avec Claire Roudenko-Bertin, putrescible avec Blazy, burlesque avec Solakov, bulgare barbu de bonne corpulence affublé d’un tutu blanc pour « incarner » un flocon de neige.
Les sculptures rectangulaires que Santiago Sierra a fait creuser dans une colline près de Gibraltar sont autant de formes minimales (rappelant les expérimentations du Land Art) qu’insupportable charnier en attente de son « butin ». Malgré la mort, la déréliction, le cataclysme au-delà de tout romantisme, juste les explosions atomiques que compile Meste, il reste encore un peu d’espoir.
À l’entrée de l’exposition où Jakob Gautel et Jason Karaïndros ont installé leur Détecteur d’anges. Flamme fragile protégée par une cloche de verre, elle est sensible au moindre de frémissement.
Que le vent fasse onduler le cordage d’un mas dehors et pff… la lumière s’évanouit. Étonnant alors comme on se meut en chien de chasse, à l’affût du moindre bruissement, presque hargneux de voir débarquer un visiteur innocent et bruyant.
« Brainstorming » remue les méninges et ce n’est pas d’aller prendre l’air qui va arranger les choses. Comme un ricochet sur l’eau, l’effet des œuvres, l’acidité, la fragilité, l’hypersensibilité qu’elles peuvent déclencher, sont contagieux. On se retrouve soudain devant un grand panneau de promoteur immobilier, tout blanc, où est inscrit « Dégage ! Du balai. De l’air. De l’espace. DUCHAMP. » À la variation typographique, aux injonctions vexantes pour le spectateur, s’ajoutent l’allusion au maître et l’intrusion du publicitaire en plein nature. C’est cela la culture équitable, il y en a pour tout le monde, sans que l’esprit ne soit tiré vers le bas. L’ensemble est même assez exigeant, combine générosité et espièglerie. « Brainstorming » était le nom d’un jeu de société. Guy Tortosa ne croyait pas si bien dire.
« Brainstorming, topographie de la morale », île de VASSIVIÈRE (87), centre national d’art et du paysage, tél. 05 55 69 27 27, jusqu’au 27 juin.
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Sources et ressources du paysage
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°558 du 1 mai 2004, avec le titre suivant : Sources et ressources du paysage