Titrée « luttesdesclasses », l’exposition de Peter Friedl à Villeurbanne ébauche la rétrospective d’un travail qui oscille entre les cadres de l’institution et les données du contexte. Après une exposition en 1999 au Frac Languedoc-Roussillon, l’artiste, né en 1960, expose en France ses recherches dans un interstice fin où l’autonomie de l’art se heurte ou se nourrit du discours politique.
VILLEURBANNE - Corrupting the absolute (Corrompre l’absolu). Radical, le programme énoncé en 2000 par Peter Friedl dans un néon rouge à la typographie accidentée laisse à son promoteur un champ relativement vaste. Citant aussi bien l’histoire de l’art contemporain (le néon de Bruce Nauman), qu’une histoire un peu plus “souterraine” (la citation est le titre d’un essai de Greil Marcus), l’œuvre symbolise quelques-unes des stratégies critiques employées par l’artiste pour se positionner dans son environnement direct, et plus particulièrement au sein du musée. Car, pour Peter Friedl, qui indique dans sa biographie “vivre et travailler in situ”, l’exercice de la rétrospective est forcément délicat. À commencer par The Power of Display (2001), photographies extraites de différents projets et affichées dans un bel assemblage, qui ne fonctionnent que par la grâce du dispositif, nombre des vingt pièces présentées ici parlent en terme peu élogieux de l’institution ; un lieu apte à normaliser n’importe quelle tentative de discours. Lors de la Documenta X de Cassel, l’artiste avait surmonté le hall d’exposition d’une enseigne “KINO” (cinéma). Friedl est le premier concerné, lui qui affiche, toujours dans le néon, un pedigree ironique et parfait pour un artiste autrichien : 20 years of resistance (2000). Ni plus ni moins, son fils a écrit la phrase et choisit la durée. Dix ans c’était un peu court, trente ans un peu long.
C’est d’ailleurs dans un langage enfantin, habituel chez lui et en référence à l’ancienne fonction du bâtiment – une école – qui abrite l’IAC, qu’il a titré son exposition “luttesdesclasses”. Non sans humour, cette syntaxe “godardienne” est relevée par une sélection de films (Vladimir et Rosa, Ici et ailleurs et Vent d’Est) du groupe Dziga Vertov, formé à la fin des années 1960 autour du cinéaste et de Jean-Pierre Gorin. Synonyme de collaboration et de mise en place d’une esthétique visant à un projet militant, cette programmation sous la forme de trois moniteurs disposés dans les salles renvoie évidemment au travail de Friedl. Si les productions Dziga Vertov ont gardé la forme de leurs engagements, elles ont gagné en esthétique ce qu’elles ont perdu en charge politique. “Pour rester autonome, l’art commença un jour ou l’autre à imiter tout ce qui n’est pas autonome”, note Friedl dans un récent essai, La Malédiction de l’iguane : du genre et du pouvoir. Cette idée d’un basculement de sens travaille aussi bien le New Kurdish Flag (1994-2001) dont le rouge est délavé jusqu’à devenir rose, que Vakverroting (2000) (trahison de la qualité professionnelle), remake du mobilier en cageot de bois brut dessiné par Gerrit Rietveld en 1934. Impossible de reconstituer exactement la table, la chaise et les étagères universelles conçues par le Hollandais, puisque la taille standard des planches est passée de 22 à 19 mm. Trahison des proportions originelles, ce glissement joue des tours à l’histoire. Mais le court-circuit le plus flagrant est opéré dans King Kong (2001), une des productions récentes de Friedl. Mise à plat d’un vidéoclip, cette boucle de quelques minutes s’axe autour du musicien américain Daniel Johnston qui chante a cappella une comptine tragique sur le roi des singes. Sommairement travaillé au montage, le lent mouvement de panoramique englobe le chanteur et le parc de Triomf, un quartier de Johannesburg bâti sur les ruines de Sophiatown, ancien haut lieu de la culture noire sud-africaine et théâtre de l’opéra-jazz King Kong. Collaboration entre musiciens noirs et intelligentsia financière blanche, la comédie musicale prenait pour sujet le boxeur au destin tragique Ezekiel Dhlamini. Dans la voix doucement incantatoire de Johnston, les jeux de jambes des enfants qui assistent au tournage, et la confusion de deux histoires populaires, se trame un monument immatériel.
- LUTTESDESCLASSES, PETER FRIEDL ; et aussi JOE SCANLAN, jusqu’au 8 septembre, Institut d’art contemporain, 11 rue du Docteur-Dolard, 69100 Villeurbanne, tlj sauf lundi et mardi 13h-19h, le mercredi 13h-20h, tél. 04 78 03 47 00, www.i-art-c.org
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Sortie des classes
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°152 du 28 juin 2002, avec le titre suivant : Sortie des classes