PARIS
Loin d’une perception souvent austère de l’abstraction géométrique associée aux avant-gardes occidentales du XXe siècle, cette exposition nous convie à découvrir la place centrale de la géométrie dans la culture latino-américaine.
Deux sculptures et une stèle cérémonielle datées de 3500 à 1500 av. J.-C., réalisées par les peuples Valdivia établis le long des côtes de l’actuel Équateur, témoignent de l’ancienneté de l’existence de motifs géométriques en Amérique. De l’époque précolombienne à aujourd’hui, des arts vernaculaires (céramique, vannerie, textiles, peinture corporelle) à l’architecture, à la sculpture et à l’art abstrait les plus contemporains, deux cent cinquante œuvres d’auteurs anonymes et de plus de soixante-dix artistes mettent en lumière la persistance de l’utilisation de la géométrie avec ses infinies possibilités de variations entre symétrie et asymétrie. Les cercles et les arabesques ondulantes associés à des motifs anguleux des peintures sur papier, des poteries et des peintures corporelles des Indiens Kadiwéu (vivant dans le Mato Grosso, Brésil) nous ramènent à Tristes Tropiques de Claude Lévi-Strauss, ouvrage où il établissait une relation entre les contradictions dans l’organisation de la société Kadiwéu et la dualité stylistique de leurs peintures corporelles angulaires et curvilignes. Parmi les nombreux artistes contemporains présents, citons Marcos Ortiz, né en 1962 au Paraguay. Ouvrier agricole d’origine Nivaklé, il aborde tardivement le dessin et réalise des paysages en quadrillant l’espace de la feuille de papier d’innombrables lignes droites. On aurait aussi aimé voir plus d’œuvres de Sérgio Sister (né en 1948 au Brésil). Ses trois peintures tridimensionnelles présentes dans l’exposition laissent entrevoir un captivant champ de recherche. Deux films sur l’émergence du style architectural dit « néo-andin » initié par l’architecte bolivien Freddy Marmani (né en 1971), issu de la communauté indigène Aymara, font découvrir ces incroyables grandes maisons qui se sont multipliées depuis le début des années 2000 à El Alto, sur les hauteurs de La Paz. Les façades et les décors intérieurs reprennent un vocabulaire géométrique complexe et haut en couleur inspiré des cultures précolombiennes et amérindiennes.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°718 du 1 décembre 2018, avec le titre suivant : Six mille ans d’art géométrique en Amérique latine