Art moderne

XIXE-XXE SIÈCLES

« Salammbô », du roman au mythe

Par Élisabeth Santacreu · Le Journal des Arts

Le 1 septembre 2021 - 539 mots

ROUEN

Le livre de Flaubert a nourri l’imaginaire des artistes, orienté l’interprétation des vestiges archéologiques de Carthage et laissé son empreinte dans la culture tunisienne. Visite guidée au Musée des beaux-arts de Rouen.

Rouen.À l’occasion du bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert (1821-1880), l’exposition autour de son roman Salammbô (1862) rassemble plus de deux cent cinquante objets sous le commissariat de Sylvain Amic, Myriame Morel-Deledalle et Imed Ben Jerbania. L’auteur refusait qu’on publie une édition illustrée de son livre, écrivant à son ami Jules Duplan : « Ah ! Qu’on me le montre, le coco qui fera le portrait d’Hannibal. » On nous en présente un : Antoine Bourdelle, sculpteur de La Première Victoire d’Hannibal (1885). Mais le propos va plus loin que l’accumulation d’œuvres inspirées par le roman : il le met en perspective, de sa genèse à son élévation au rang de mythe.

Nourri d’études classiques, le XIXe siècle était familier de l’histoire carthaginoise – un cahier de Victor Hugo rédigé à l’âge de quinze ans en témoigne. Les aventures de la fondatrice du royaume, Didon, l’une des figures de l’Énéide de Virgile, et le récit des guerres puniques opposant Carthage à Rome appartenaient à la culture générale. Le génie de Flaubert a été de prendre pour thème la moins célèbre guerre des Mercenaires (241 à 238 av. J.-C.) et d’y mettre en scène une fille d’Hamilcar à laquelle il donna le nom de Salammbô. Le travail de documentation de l’écrivain est évoqué par divers objets dont son Carnet de voyage n° 10 (1858) rédigé au Maghreb.

Une héroïne aux multiples visages

La première œuvre d’art recensée s’inspirant du roman fut, en 1869, une sculpture représentant un épisode de l’enfance d’Hannibal – le même que celui choisi plus tard par Bourdelle. Cependant, l’œuvre la plus ancienne présentée ici est un grand médaillon d’Alfred-Désiré Lanson, Salammbô (1880), montrant le personnage dans divers épisodes. Nulle afféterie dans ce bronze, ni dans la plupart des œuvres choisies pour évoquer la manière dont les artistes, essentiellement dans les années 1880 à 1900, se sont emparés de l’héroïne aux multiples visages et de son monde exotique et violent. Le poète Théodore de Banville offrit le livre de Flaubert à son fils adoptif, le futur peintre et illustrateur Georges-Antoine Rochegrosse alors jeune enfant. Depuis sa hiératique Salammbô (1886), quasiment grandeur nature, jusqu’aux hors-textes pour l’édition Ferroud de 1900, en passant par le Voile de Tanit (1895-1896) brodé par son épouse d’après l’une de ses aquarelles, Rochegrosse témoigne de la fascination qu’a pu exercer le roman chez certains artistes.

Flaubert pensait qu’on pourrait tirer un opéra de Salammbô. Plusieurs musiciens s’y frottèrent, donnant lieu à la création de magnifiques décors et costumes. Il y eut plus tard des films et enfin le neuvième art s’inspira à son tour de l’œuvre : une belle place est donnée à la magistrale bande dessinée de Philippe Druillet (1980). L’exposition se termine par un point sur les fouilles récentes en Tunisie où on a longtemps interprété des vestiges à la lumière de ce que Flaubert avait raconté. C’est l’occasion de rappeler la place que son roman tient aussi dans la culture tunisienne : photographié par Douraïd Souissi, un quartier de la ville moderne de Carthage porte le nom de Salambo.

Salammbô. Fureur ! Passion ! Éléphants !,
jusqu’au 19 septembre, Musée des beaux-arts, Esplanade Marcel-Duchamp, 76000 Rouen. Du 20 octobre 2021 au 7 février 2022 au MuCEM (Marseille).

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°572 du 3 septembre 2021, avec le titre suivant : « Salammbô », du roman au mythe

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