Paris-3e

Saint Picasso !

Musée national Picasso-Paris - Jusqu’au 13 janvier 2019

Par Colin Cyvoct · L'ŒIL

Le 1 octobre 2018 - 521 mots

« Chic, que des chefs-d’œuvre ! », peut-on légitimement penser à la lecture du titre de cette énième exposition Picasso.

Autrement dit : impossible d’être déçu. Évoquant le Maître, Laurent Le Bon, président du Musée Picasso Paris, l’a clairement confirmé à l’antenne du journal matinal de France Inter : « Un peu comme Midas, tout ce qu’il touche devient chef-d’œuvre. » C’est une aubaine pour les deux commissaires de l’exposition, Émilie Bouvard et Coline Zellal : les soixante-dix mille œuvres de Picasso étant toutes des chefs-d’œuvre, celles-ci ont pu choisir sans aucune contrainte leurs (chefs-d’)œuvres. En vrai, qu’en est-il ? L’exposition réserve quelques très riches moments, mais, tout comme l’œuvre de Picasso, on a aussi le droit de la trouver très inégale, parfois même franchement décevante. Pour ouvrir l’exposition, les commissaires font appel à une légitimité ancrée dans le passé : LeChef-d’œuvre inconnu, un dense et court récit de Balzac paru en 1831. Un siècle plus tard, l’ouvrage est réédité par Ambroise Vollard, « illustré » par Picasso, qui n’avait vraisemblablement pas lu la nouvelle avant que le marchand d’art ne lui soumette le projet. La suite du parcours, chronologique, présente Science et Charité, un tableau peint par Picasso à l’âge de 16 ans, et l’une des rares œuvres que l’artiste ait conservée de sa jeunesse. Peut-on sérieusement regarder cette grande toile présentant d’incontestables qualités techniques comme un chef-d’œuvre ? Certainement pas, mais comme un intéressant témoignage de l’exceptionnelle précocité du jeune Picasso, alors étudiant à l’école des beaux-arts de Barcelone. En revanche, Les Demoiselles d’Avignon, peintes en 1907, qui entrent sans conteste dans la catégorie des chefs-d’œuvre, au sens le plus classique du terme, sont, elles, absentes. Intransportables. Une reproduction en tapisserie, joliment décorative, les représente donc, heureusement accompagnée de plusieurs études passionnantes. Six autres « chefs-d’œuvre », trois Arlequins de 1923 et trois Baigneuses de 1937, également entourés de nombreux travaux préparatoires et de photographies, permettent d’appréhender un Picasso bien connu, d’une incroyable fécondité toujours remise en question. Puis, dans une petite salle, une riche surprise attend le visiteur : de toutes petites présences en papiers déchirés ou découpés, fils de fer, capsules et autres matériaux les plus modestes, proposent un regard vraiment renouvelé, entre humour, légèreté et poésie, sur la création d’un artiste qui savait redonner vie avec malice aux choses les plus humbles, créant ainsi avec un minimum de moyens de merveilleux petits anti chefs-d’œuvre, conservés par Dora Maar – qu’il avait rencontrée en 1936. A contrario, Picasso lithographe apparaît bien mal mis en valeur. Des œuvres réalisées en collaboration avec le lithographe Fernand Mourlot sont présentées aux côtés de pierres lithographiques à moitié effacées sur lesquelles les deux hommes ont travaillé à partir de 1945. De son vivant, Picasso n’avait jamais envisagé d’exposer ces pierres lithographiques à moitié effacées. Mais Mourlot, pas bête, les avait mises de côté. Et maintenant, on est invité à les contempler comme des reliques. Fétichisme ? Tout ce qu’a touché le maître deviendrait-il sacré ? Présentant l’exposition, Laurent Le Bon l’affirme clairement : « Il y a quelqu’un qui nous écrase, quelqu’un qui est là plus fort que nous et qui nous permet tout simplement de passer des moments magiques. »

« Picasso. Chefs-d’œuvre ! »,
Musée national Picasso-Paris, 5, rue de Thorigny, Paris-3e, museepicassoparis.fr

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°716 du 1 octobre 2018, avec le titre suivant : Saint Picasso !

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