Au Grand Palais, avec une sélection rigoureuse et un accrochage subtil, l’exposition « Italia Nova » éclaire les mutations rapides de l’art italien des années 1900-1950.
PARIS - Passionnante exposition que ce panorama de l’art italien de la première moitié du XXe siècle, qui, pour l’essentiel, prend appui sur la considérable collection du Museo di Arte Moderna e Contemporanea di Trento e Rovereto (MART), à Rovereto, en Italie. Passionnante car elle revient, avec un choix d’œuvres serré et judicieux, sur les recherches formelles les plus novatrices qui initient et closent la période : le futurisme d’un côté ; les débuts de personnalités aussi importantes et singulières que Lucio Fontana et Piero Manzoni de l’autre. Passionnante car, entre les deux, on (re)découvre un aspect de l’art de la péninsule italienne beaucoup moins connu chez nous, constitué pour une grande part d’un « retour à l’ordre » artistique fondé sur une relecture de l’art classique.
La présentation s’ouvre donc sur le futurisme, dont le manifeste du poète Marinetti est publié en 1909, avant que cinq peintres, parmi lesquels Giacomo Balla, Carlo Carrà et Luigi Russolo, ne signent l’année suivante un Manifeste des peintres futuristes, qui prône la « [destruction du] culte du passé, [de] l’obsession de l’ancien […] et [du] formalisme académique ». Focalisant ses expérimentations picturales sur le rendu visible de la dynamique des mouvements mécaniques, humains ou cosmiques, les artistes s’attachent à un renouvellement thématique prenant la ville, le mouvement, le progrès ou l’observation scientifique comme emblèmes d’une modernité nouvelle. Tout en décomposition saccadée, entrechoquement de surfaces et vibrations chromatiques intenses, le Dynamisme d’une automobile (1913) de Russolo, Le Mouvement du clair de lune (1910-1911) de Carrà et La Main du violoniste (1912) de Balla sont trois chefs-d’œuvre incontournables.
Une certaine « rivalité » avec le cubisme se fait jour chez d’autres artistes, qui affirment plus fortement l’emprise géométrique de leur vision du réel, comme Fortunato Depero (Architecture synthétique d’homme. Homme à la moustache, 1916-1917) ou Enrico Prampolini (Femme ambiance, 1915).
Le sens caché des choses
L’année 1915 amorce un tournant lorsque Carrà, rompant avec ses positions, revient à un « primitivisme » des formes, à la faveur d’un « vif désir d’identifier [sa] peinture avec l’histoire ». Cette reconversion à partir de bases assurées, dont le plus bel exemple est ses Filles de Loth (1919), illustre le passage vers une nouvelle figuration de facture classique qui, chez des artistes tels Felice Casorati (Silvana Cenni, 1922) ou Gino Severini (Maternité, 1916), relit ouvertement les anciens, et particulièrement Giotto, Ucello et Piero Della Francesca. Elle illustre aussi comme un besoin de stabilité et la réintroduction de l’idée de style après les nombreuses expériences avant-gardistes.
C’est le moment où s’exprime avec brio la Metafisica de Giorgio De Chirico, elle aussi empreinte de culture classique. Ses visions inquiètes et suspendues, où l’on cherche le sens caché des choses, ne sont jamais aussi fortes que dans une économie d’effets et de moyens (La Matinée angoissante, 1912). Une force qui se dilue nettement quand le peintre use plus tard avec trop d’emphase des facilités de la rhétorique antique (Autoportrait au buste d’Euripide, 1922-1923 ; Gladiateurs au repos et arbitre, 1928-1929).
Le retour au classique en Italie ne serait donc pas l’expression d’un propos réactionnaire, mais plutôt une recherche spirituelle en forme de défi au Temps, fondée sur les valeurs ancestrales de la Péninsule.
C’est cette vision que le pouvoir fasciste va s’approprier, et particulièrement les travaux de l’ambigu groupe Novecento (Mario Sironi, Achille Funi, Virgilio Guidi…). Celui-ci glisse progressivement de la recherche d’une nouvelle mesure classique au début des années 1920 (compositions sommaires, plasticité vigoureuse) à un flirt parfois très prononcé avec les valeurs patriotiques (identité nationale, famille, exaltation de la puissance de Rome…) défendues plus tard, en particulier par Sironi, qui collabore ouvertement avec le régime (La Famille du berger, 1929).
En signe d’ouverture, l’exposition s’achève très finement avec quelques propositions brutes et radicales de Burri, Fontana et Manzoni, qui, un demi-siècle après les futuristes, en un nouveau retournement de tendance, rompent avec toute idée de tradition. Cherchant plutôt à réinventer les gestes de l’art, quitte à en passer par une forme de négation et un retour au degré zéro, comme le fit Manzoni avec la non-couleur de ses Achromes.
Jusqu’au 3 juillet, Galeries nationales du Grand Palais, entrée Clemenceau, 75008 Paris, tél. 01 44 13 17 17, www.rmn.fr/galeriesnationalesdugrandpalais, tlj sauf mardi 10h-20h, mercredi jusqu’à 22h). Cat. éd. Skira/RMN, 360 p., 180 ill., ISBN 2-7118-5076-5, 49 euros.
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Ruptures et traditions en Italie
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Abonnez-vous dès 1 €- Commissaire de l’exposition : Gabriella Belli, directrice du MART - Nombre d’artistes : 29 - Nombre d’œuvres : 119
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°235 du 14 avril 2006, avec le titre suivant : Ruptures et traditions en Italie