Le peintre et l’écrivain ont l’humour en commun, mais Daumier savait aussi voir ses personnages avec le cœur.
Paris. On sait peu de choses des rapports qu’entrentenaient les deux Honoré, Balzac (1799-1850) et Daumier (1808-1879). Pour l’éditeur Furne, Daumier illustre Physiologie du rentier de Paris et de province de Balzac en 1842, puis dessine un magistral Père Goriot (1842) ou encore Ferragus contemplant des joueurs de pétanque (1843). Si Balzac n’a pas commenté ces travaux, et si on ignore même s’il a jamais rencontré l’artiste, il n’est pas inconvenant de présenter des caricatures de Daumier dans sa maison de Passy. Le directeur du musée, Yves Gagneux, a choisi de donner « les Parisiens » pour thème à cette exposition : Balzac a souvent situé ses romans dans la capitale et Daumier a publié des séries de caricatures intitulées « Émotions parisiennes » et « Types parisiens » dans lesquelles ont été sélectionnées quelques-unes de la soixantaine de planches formant le parcours.
Le rapprochement, contrairement à ce que l’on pourrait attendre, montre surtout la distance qui sépare l’écrivain du dessinateur. Le premier observe ses contemporains comme un entomologiste, pratiquant la phrénologie et la physiognomonie pour les analyser. Il pressent la terrible mécanique financière qui aboutira à un capitalisme ravageur mais s’intéresse assez peu au peuple, première victime du système.
Daumier a une autre démarche. Il faut éviter de trop s’attarder sur les commentaires, souvent incompréhensibles à notre époque, inscrits par l’éditeur sous ses estampes : Charles Baudelaire, dans Quelques caricaturistes français (1857), en faisait déjà la remarque. Il suffit de regarder les visages, les attitudes, pour rire ou s’émouvoir. Daumier critique durement, mais il compatit aussi, il prend parti, et souvent on décèle de la tendresse dans le regard qu’il porte sur les enfants, les travailleurs épuisés, les vieillards dont la vie s’est rétrécie. L’exposition présente quatre huiles et une aquarelle dans lesquelles ce réaliste observe ses personnages avec empathie, loin de la « Comédie humaine ». Sa touchante Blanchisseuse (vers 1863) aurait sa place chez Hugo ou Zola, beaucoup moins chez Balzac.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°625 du 19 janvier 2024, avec le titre suivant : Rires et larmes avec Balzac et Daumier