Art moderne

Rétrospective Roberto Matta, peintre d’histoires

Par Francine Guillou · Le Journal des Arts

Le 12 mars 2013 - 661 mots

Marseille déploie largement l’œuvre du surréaliste chilien, auteur d’une peinture grinçante entre architecture intérieure et visions politiques.

Marseille - Roberto Matta (1911-2002) bénéficierait-il des faveurs historiographiques ? L’œuvre du peintre surréaliste, longtemps laissée dans une relative obscurité, est l’objet de deux expositions concomitantes, l’une outre-Rhin à Baden-Baden, l’autre à Marseille, au Musée Cantini dans le cadre de « Marseille-Provence 2013 ». Il était temps de se pencher sur les toiles et dessins de cet artiste et de l’atmosphère si particulière qui traverse son œuvre, de ses débuts surréalistes à l’onirisme dissonant des très grands formats.

Son rapport à l’Histoire et aux faits politiques du XXe siècle sert de fil rouge à la rétrospective « Matta, du surréalisme à l’Histoire » que lui consacre Marseille, dans la lignée des expositions que la ville a consacrées au surréalisme depuis 1986.

Roberto Matta, architecte chilien installé à Paris dès 1933, s’engage très rapidement dans le surréalisme. Il côtoie Salvador Dalí et André Breton l’adopte dans son clan. Pendant la guerre, exilé à New York, il rencontre Jackson Pollock et Arshile Gorky. Ces contacts façonnent son art sans lui ôter sa singularité.

Dès ses premières œuvres, dans les années 1940, sa palette et son trait le distinguent indéniablement. Dans Le Pendu (1942, coll. part.), un travail tout en transparence, l’espace, complètement explosé, et l’usage de tons discordants confèrent à cette représentation une atmosphère inquiétante ; s’y révèle une part d’inconscient où la violence tient une grande place. Très vite arrive la tentation du très grand format, alliée à une figuration peuplée de personnages de science-fiction, terrifiants et cruels. Architecte de formation, Matta entreprend également de structurer une architecture intérieure. Enlevons les cartes (1957, coll. Jacques Hérold) semble évoquer par son titre une partie de cartes entre quatre entités mécaniques. Dans cet univers décloisonné, la scène donne le vertige, sa signification reste énigmatique.

Le peintre chilien s’affronte parallèlement à la représentation de quelques événements marquants de la deuxième moitié d’un XXe siècle alternant élans démocratiques et instauration de dictatures. En 1958, il peint La Question (coll. Federica Matta), inspirée du texte éponyme d’Henry Alleg sur la torture pendant la guerre d’Algérie. Dans un univers gris et systématisé, à l’architecture saillante et anguleuse, le corps du supplicié est irradié de couleurs chaudes, tandis que le pinceau virevoltant de l’artiste strie la surface de traits blancs, dans une trompeuse apparence d’automatisme. Dans ces très grands formats, tel Les Puissances du désordre (1964-1965, Musée national d’art moderne), grande machine de 3 mètres sur 10, il renoue avec la tradition des muralistes d’Amérique latine, tout en établissant un lien formel avec l’univers des comics américains et des romans d’anticipation.

Scènes crues
Au tournant des années 1970, sa peinture devient encore plus politique : Les Juges de Nuremberg, La Muerte del Che Guevara, Ping Pong Mao, Sacco et Vanzetti : l’impérialisme américain et occidental est dénoncé dans des toiles grotesques où les personnages des juges (France, Grande-Bretagne, États-Unis) dominent des scènes crues et extravagantes aux couleurs toujours dissonantes. Les années 1980 apportent à Matta une inspiration plus universaliste, influencée par l’art étrusque : Ô âmes citoyens (1986, coll. part) dépeint magnifiquement dans une lueur dorée un combat mythologique où la lumière affronte l’obscurité.L’œuvre graphique, présenté en fin de parcours, éclaire la liberté du trait, héritage surréaliste, et sa fulgurance exceptionnelle. Ses dessins exhalent une sensualité intense, peu présente dans les œuvres peintes.

La scénographie, volontairement sobre, laisse la part belle à une œuvre abondante. Le manque de médiation écrite, cependant rattrapé par l’excellence des textes du catalogue, apparaît comme le seul défaut de cette riche exposition.

Matta du surréalisme à l’histoire

Commissariat : Christine Poullain, directrice des musées de Marseille ; Claude Miglietti, conservateur au Musée Cantini, en collaboration avec Alain Sayag
Nombre d’œuvres : environ 85

jusqu’au 19 mai, Musée Cantini, 19, rue Grignan, 13006 Marseille, tél. 04 91 54 77 75, www.culture.marseille.fr, tlj sauf lundi, 10h-18h, le jeudi jusqu’à 22h. Catalogue, Editions Snoeck, Heule, Belgique, 272 p., 30 €.

Légende photo

Roberto Matta, Les Puissances du désordre, 1964-1965, huile sur toile, 298 x 993 cm, Musée national d'art moderne, Paris. © Photo : Centre Pompidou/MNAM-CCI/Dist. RMN.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°387 du 15 mars 2013, avec le titre suivant : Rétrospective Roberto Matta, peintre d’histoires

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