La restauration des œuvres d’art contemporain nécessite un état d’esprit complètement différent de celle des œuvres d’art ancien. La nature même des matériaux employés, la variété des démarches et des techniques ménagent à chaque restauration de nouvelles surprises.
Les problèmes liés à la conservation et à la restauration des œuvres d’art contemporain ne datent pas d’aujourd’hui. Ils ont pour origine le début de ce siècle, lorsque quelques artistes se sont affranchis des catégories traditionnelles de la peinture et de la sculpture en introduisant le collage. Cet acte, dont Picasso et Braque furent les initiateurs, allait ouvrir aux artistes de nouveaux champs de création et de nouvelles libertés dans le choix même de leur médium. De nos jours, l’une des principales difficultés auxquelles sont confrontés les restaurateurs d’art contemporain réside précisément dans l’extrême variété des matières et des techniques employées par les artistes : de la peinture acrylique à la bombe de peinture issue de l’industrie automobile, du plastique à la matière organique, du détritus jusqu’à l’objet manufacturé de tous les jours et utilisé tel quel...
Pour favoriser la bonne conservation des œuvres, la prévention constitue la politique la plus sage, comme le préconise d’ailleurs le comité pour la conservation du Conseil international des musées (Icom) dans un texte de 1984. "La conservation est une chose fondamentale", affirme Guy Mondineu, qui dirige l’atelier de restauration Mondineu-Degen. "Les collectionneurs viennent nous voir quand il y a un accident, mais notre première activité devrait être la conservation", ajoute-t-il. En effet, les particuliers ne prennent pas toujours les précautions qui s’imposent pour protéger efficacement leurs collections. Ces mesures pourraient pourtant éviter de lourdes dépenses : de 800 à 4 200 francs le m2 pour un rentoilage, alors qu’une heure de restauration peut coûter entre 250 et 500 francs. "Près de 3 000 francs de travaux peuvent être nécessaires pour un tableau estimé 1 000 francs ", remarque Jean-Paul Ledeur, qui est aujourd’hui expert en restauration, conservation et prévention, et expert près les Tribunaux. Il ne faut pas mettre une œuvre au-dessus d’un radiateur ni devant une fenêtre à cause des ultraviolets. Il faut installer une petite protection ou accrocher les œuvres à un endroit non exposé. Certains lieux publics, musées ou centres d’art, ne présentent pas non plus les conditions optimales de conservation. Il est fréquent que des expositions soient organisées en été dans des espaces où la température dépasse largement les 25°. Un entretien régulier est également nécessaire. Si l’on fume par exemple dans un salon, les œuvres qui y sont accrochées s’abîment. Il faut les nettoyer tous les dix ans.
Les pièces sont souvent victimes de leurs diverses manipulations, qui s’accroissent avec le nombre des expositions temporaires. Les transports se font parfois dans de mauvaises conditions, avec du personnel peu qualifié. Les changements de mains peuvent laisser des traces. "Quand mes œuvres passent en vente publique, je suis très angoissé car elles sont fragiles. Le personnel qui les porte le fait souvent mal", s’inquiète l’artiste Roman Opalka.
L’on se souvient également de l’usure causée par le public à la housse de feutre du piano d’Infiltration homogène pour piano à queue (1966) de Beuys, conservée au Musée national d’art moderne. En Angleterre, à la Tate Gallery notamment, les conservateurs ont décidé de présenter les peintures sous un vitrage antireflet qui protège l’œuvre mais a l’inconvénient d’en modifier la perception.
Partenariat tripartite
Beaucoup d’œuvres se dégradent d’elles-mêmes. Les mélanges effectués par les artistes de notre siècle ne se conservent pas toujours très bien. Pour certaines pièces de Dubuffet, "dès le début, il fallait les protéger", souligne Jean-Paul Ledeur. Même constat pour "Picasso, qui utilisait du stylo à bille. Ce n’est pas stable".
Aussi est-il essentiel de rassembler une documentation très précise sur chacune des créations. "Le restaurateur n’est plus devant son chevalet, précise le restaurateur Claude Wrobel. Il établit un dossier avec des photographies". Ainsi, en liaison directe avec l’artiste, le conservateur-restaurateur doit déterminer la nature des différents composants, les caractéristiques chimiques et techniques, afin de posséder toutes les informations nécessaires à la restauration.
Un débat oppose les conservateurs préconisant que les œuvres soient restaurées avec les matériaux mêmes qui les composent aux restaurateurs qui préfèrent employer d’autres produits, identiques esthétiquement mais qui pourront être plus facilement individualisés. Le principe de toute intervention est en effet sa réversibilité, comme le souligne l’article 9 du code d’éthique du 11 juin 1993 adopté par l’European Confederation of Conservator-Restorers’ Organisations (Ecco).
Si les conservateurs-restaurateurs s’accordent sur la nécessité de ne pas traiter une œuvre sans l’avis de son auteur, ils divergent sur l’application de ce principe. Pour Guy Mondineu, qui doit répondre aux attentes de ses clients, "on restaure d’abord, et on demande ensuite à l’artiste de venir voir et de donner son avis. C’est ma façon d’être honnête avec les artistes". La position de ces derniers peut parfois être en contradiction avec les points de vue respectifs des restaurateurs et des conservateurs de musées. L’artiste qui restaure son œuvre le fait rarement littéralement. Il l’adapte souvent à l’évolution de son travail, quand il n’en réalise pas tout simplement une nouvelle. À l’inverse, le conservateur a plutôt tendance à vouloir rendre à l’œuvre son caractère strictement initial. Pour Claude Wrobel, "il faut établir un partenariat tripartite. Chacun doit défendre sa position mais les situations conflictuelles sont rares".
Les artistes réagissent cependant de façon très variée lorsqu’ils sont consultés pour des restaurations. Certains, comme Polke, ont leur propre restaurateur, gardien d’une technique secrète. Alan Charlton, pour le cas particulier du monochrome, détruit au contraire l’œuvre endommagée et en réalise lui-même une nouvelle. De nombreux artistes se déclarent simplement incompétents et préfèrent laisser la restauration aux spécialistes. D’autres pièces encore sont par nature périssables, telles les fleurs d’Anya Gallaccio, qui jouent justement sur cette dégradation naturelle. L’œuvre est alors à tout moment "réinstallable", sans que la question de son authenticité ni de sa restauration ne se pose.
Un rapport de recherche sur la restauration de l’art contemporain, contenant de nombreux conseils pratiques, vient d’être publié par l’AFCOREP. Rens. au 01 40 47 60 41, fax : 01 43 20 32 45.
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Restaurer l’art d’aujourd’hui
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°32 du 1 janvier 1997, avec le titre suivant : Restaurer l’art d’aujourd’hui