La « ligne de vie » du photographe, dans ses différentes dimensions, est retracée au Musée de l’Élysée.
Lausanne. Des recherches au long cours menées dans les archives d’un photographe naît souvent une monographie qui élargit la vision de son œuvre et de sa vie, surtout quand celle-ci est réalisée après sa disparition et sans la contrainte d’ayants droit. C’est le cas du travail mené par Mélanie Bétrisey sur les archives de René Burri (1933-2014) dès leur dépôt au Musée de l’Élysée à Lausanne, en 2013. Le résultat est une exposition remarquable tant par ce qu’elle dit de l’homme et du photographe que par son parti pris dans le traitement du contenu, dans son accrochage. Ce fonds impressionnant par son volume et surprenant par sa diversité révèle en effet des points méconnus ou sous-évalués chez René Burri, telle sa pratique régulière du dessin dès l’enfance, du collage plus tard, ou celle de l’autoportrait, véritable terrain de jeu pour cet acteur né et facétieux.
C’est sur cette diversité insoupçonnée dans son étendue que s’appuient Mélanie Bétrisey et Marc Donnadieu, conservateur en chef du musée, pour développer de salle en salle ce qu’ils dénomment « la ligne de vie » de René Burri, depuis son extrait de naissance en date du 9 janvier 1933 à Zürich jusqu’à la photographie – réalisée par Marie Clérin – de son atelier à Ivry-sur-Seine (Val-de-Marne), un mois après sa mort.
Sans cartel ni autre forme d’explication, cette existence se raconte chronologiquement, par un simple alignement de photographies et de documents, dessins, collages, auxquels s’ajoutent de petits écrans vidéo mis bout à bout, avec pour seuls repères quelques dates. Leur encadrement blanc les distingue des cadres noirs utilisés pour les focus qui viennent s’insérer régulièrement dans la narration, par grappes de pièces de nature diverse et d’époque différente, sur des pratiques récurrentes ou des moments marquants de l’itinéraire.
Les focus sur le cinéma, l’autoportrait, Che Guevarra, la Chine, Magnum, la photographie d’écrans de téléviseur, la couleur, foisonnent eux aussi d’épreuves ou de documents inédits, présentés aux côtés de photographies célèbres. Le livret remis à l’entrée fournit les informations nécessaires. Le visiteur se laisse entraîner par la vitalité et le contenu du récit, assez explicite dans son déroulement pour ne pas se perdre. Il n’est nullement question d’hagiographie mais de cheminement où apparaissent les mentors (Werner Bischof, Henri Cartier-Bresson), les rencontres avec Picasso, Le Corbusier ou Tinguely, des morceaux de vie personnelle aussi et ses relations avec l’agence Magnum au travers des portraits de groupe ou des correspondances truculentes, tandis que voyages et reportages montrent son intérêt constant pour l’humain. L’entrain, le panache et le talent de René Burri, sa collectionnite aiguë de tout (de la boîte d’allumettes aux cartes de presse) se distille le long du parcours. Son rapport au dessin, à la peinture ou au collage, que quelques expositions du vivant du photographe avaient déjà dévoilé mais sans jamais hisser ces pratiques au niveau de sa photographie, révèle un aspect des plus attachants de l’œuvre, jusque dans ses reportages.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°541 du 13 mars 2020, avec le titre suivant : René Burri tel quel