Redécouverte

Rendre à Mellin ce qui lui appartient

Par Le Journal des Arts · Le Journal des Arts

Le 30 juillet 2007 - 792 mots

Scellant quinze ans de recherches, l’exposition organisée à Nancy met en lumière l’œuvre de Charles Mellin, le plus romain des artistes français du Grand Siècle.

NANCY - Postés devant La Peinture peignant l’Amour, l’historien d’art Pierre Rosenberg, les conservateurs du Louvre Philippe Malgouyres, Sylvain Laveissière, et Sophie Harent, jeune et prometteuse conservatrice du Musée des beaux-arts de Nancy, s’interrogent inlassablement : l’œuvre est-t-elle bien de la main de Charles Mellin (vers 1597/1600-1649) comme l’avait proposé Michel Laclotte quelques années auparavant ? Le tableau fait partie de la première rétrospective jamais consacrée à ce maître français qui fit l’essentiel de sa carrière à Rome et dont une partie de sa production fait aujourd’hui encore débat. Organisée à Nancy, avant Caen, la manifestation est l’aboutissement de quinze ans de recherches menées par Philippe Malgouyres dans le cadre d’une thèse sur l’artiste. Celui que les textes italiens anciens mentionnent sous le nom de « Carlo Lorenese » (Charles le Lorrain) et dont la naissance à Nancy est loin d’être une certitude, a probablement suivi une formation en Lorraine – au moment où venait d’être révélée l’Annonciation du Caravage –, avant de partir pour Rome vers 1618 où il aurait travaillé dans l’atelier de Simon Vouet (dont sont ici présentées quelques œuvres). Si les tableaux et dessins de Charles Mellin ont longtemps été attribués à d’autres (notamment à Poussin), le temps est enfin venu de « faire subir à son œuvre la même toilette qu’à celle de Poussin », comme le préconisait Jacques Thuillier en 1996. Avec Pierre Rosenberg, Nicolas Spinosa, Sylvain Laveissière et Philippe Malgouyres, l’historien d’art a œuvré à la renaissance de l’artiste après sa redécouverte par Jacques Bousquet dans un article de 1955 et Doris Wild dans les années 1960. La confrontation de ses œuvres à Nancy permet de confirmer les réattributions proposées par Malgouyres. Ainsi, la Sainte-Marie Madeleine conservée à la Galleria Nazionale d’Arte Antica, à Rome, auparavant attribuée à Simon Vouet, a pu être réattribuée avec certitude à Mellin. Acquis en 2006 par le Musée du Louvre, le Portrait de jeune homme (vers 1625-1627) a, pour sa part, de grandes chances d’être l’une de ses premières œuvres. Les années 1630-1640, les plus fécondes de sa carrière, voient naître de séduisants tableaux comme l’audacieuse Assomption de la Vierge, longtemps attribuée à Vouet et réallouée à Mellin par Doris Wild. Citons également L’Amour et la fidélité, que Malgouyres date postérieurement aux années 1635-1640 comme l’avançait Rosenberg. Jalonnant le parcours, de petites antichambres mettent en exergue les plus importantes commandes de l’artiste : celles exécutées pour La Trinité des Monts entre 1627-1630, période où sa palette change avec l’utilisation des bleu et jaune vénitiens, ou pour la Chapelle de la Vierge de Saint-Louis-des-Français.

Derniers jours napolitains
Sans oublier, à partir de 1634, les décors réalisés pour le chœur de l’abbaye de Montecassino, malheureusement détruits pendant la Seconde Guerre mondiale et dont une reconstitution est ici proposée à partir des dessins conservés. Seul rescapé de cette catastrophe, le Sacrifice d’Abel est une source fondamentale pour la connaissance de l’artiste. Très endommagée (la tête de Caïn a été mutilée), la peinture fut envoyée à Rome pour restauration et a ainsi pu être sauvée. Elle est présentée aux côtés de l’esquisse et d’un ricordo, ce qui permet de saisir la manière dont travaillait Mellin. L’esquisse est beaucoup plus dramatique et contrastée que la composition finale, rendue plus lisible, plus contrôlée. À la fin de sa vie, Mellin se rend à Naples, où il change radicalement de style, comme le montre l’Annonciation (1647), dernier tableau connu de l’artiste, conçu pour Santa Maria di Donnaregina Nuova. « Le tableau frappe d’abord par sa retenue, son silence ; on ne peut que mesurer la distance parcourue dans ces vingt ans d’une carrière souvent difficile à reconstituer. De la couleur claire, de la touche enjouée des débuts, il ne reste rien », précise, dans le catalogue, Malgouyres. La mort précoce de Mellin, en 1649, sans descendants ni héritiers proches, et la destruction d’une importante partie de son œuvre le font sombrer dans l’oubli. « Le sujet Mellin est loin d’être clos, souligne Sophie Harent. Nous espérons que l’exposition sera le point de départ de nouvelles recherches », sans exclure la possibilité de découvertes chez des particuliers… Aussi passionnante pour les scientifiques qu’accessible au grand public, la manifestation vient s’ajouter à toutes celles qui, ces dernières années, ont permis de reconsidérer la peinture du Grand Siècle et faire sortir de l’ombre des maîtres comme Baugin, Blanchard, Bellange, ou, plus récemment, Stella.

CHARLES MELLIN – UN LORRAIN ENTRE ROME ET NAPLES

Jusqu’au 27 août, Musée des beaux-arts, 3, place Stanislas, 54000 Nancy, tél. 03 83 85 33 16, tlj sauf mardi et jours fériés, 10h-18h. L’exposition sera ensuite présentée au Musée des beaux-arts de Caen du 21 septembre au 31 décembre. Catalogue, éditions Somogy, 328 p., 45 euros, ISBN 978-2-7572-0078-0.

CHARLES MELLIN

- Commissariat scientifique : Philippe Malgouyres, conservateur du patrimoine, Musée du Louvre ; Sophie Harent, conservateur du patrimoine, Musée des beaux-arts de Nancy - Scénographe : Didier Blin, architecte-muséographe - Nombre d’œuvres : 90

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°260 du 25 mai 2007, avec le titre suivant : Rendre à Mellin ce qui lui appartient

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