Rencontres anonymes à Arles

Existe-t-il encore des « photographes de la rue » ? En plaçant les 32e Rencontres d’Arles sous le signe de l’anonyme, Gilles Mora, leur directeur artistique, ne pouvait que mettre en vedette l’Américain Garry Winogrand, dont l’œuvre est constituée de milliers de documents saisis au vol sur la voie publique. On pourrait se réjouir de voir, ou revoir, le foisonnement de la vie urbaine dans l’œil de celui qui disparut en laissant plus de 2000 films non développés, témoignages de ses longues stations au coin des avenues new-yorkaises, objectif en embuscade, poussière de moments décisifs accumulés, transe du regard résonnant de la frénésie du trottoir. Oui, on pourrait se réjouir de ces images, si elles ne renvoyaient au cruel débat qui hante les photographes professionnels de notre pays et empoisonne leurs relations avec la presse et l’édition, celui du fameux droit à l’image. La rigueur de la loi, et l’enthousiasme que mettent à en tirer profit de très anonymes piétons, poussent de plus en plus de magazines à ne publier que des personnages flous traversant des paysages non identifiables. Les émules de Garry Winogrand devront donc aller exercer leur talent sous des cieux plus respectueux d’un devoir qui semble avoir échappé au législateur : celui d’informer et de constituer les archives d’une mémoire populaire. Ce débat, nous voulons l’entendre ici même, à Arles, autour de cette rétrospective, comme autour du courageux travail de Luc Delahaye dans le métro parisien.
« La rue est un théâtre », soutenait Winogrand. Et nous en sommes tout à la fois les acteurs et les metteurs en scène. Anonymes.