Art nouveau

Réjouissances régionales

Le Journal des Arts

Le 26 mai 2009 - 731 mots

Deux expositions en Lorraine font renaître l’école de Nancy à travers les productions de ses éminents représentants Gallé et Majorelle.

NANCY, VIC-SUR-SEILLE - La Lorraine célèbre à travers deux expositions l’école de Nancy, qui a su concilier l’art et l’industrie, concrétisant ainsi les ambitions du XIXe siècle. La première, à Vic-sur-Seille (Moselle), fait honneur à l’instigateur du mouvement, Émile Gallé, à travers sa production de verre, tandis que la seconde, présentée aux Galeries Poirel à Nancy, met en scène « Un art de vivre moderne » de la maison fondée par Louis Majorelle (1859-1926), successeur et concurrent direct de Gallé en ce début de XXe siècle. Deux événements qui, par leur cohérence, leur scénographie sobre, le nombre important de prêts (provenant de collections privées pour Majorelle ; de collections russes et japonaises pour Gallé) mettent en scène tout un pan d’une histoire régionale déterminante pour l’art.

L’essence des choses
Héritiers d’une formation classique et mesurant les possibilités de leur époque, Gallé et Majorelle ont su élaborer le vocabulaire de l’Art nouveau. Ils partagent surtout une conception de l’entreprise moderne en transformant l’atelier artisanal de leur père respectif en véritable manufacture. Visionnaires, mais chacun à leur manière.
À Vic-sur-Seille, Gabriel Diss, conservateur en chef du Musée Georges-de-La Tour, exalte le Gallé verrier, expérimentateur fou qui brevette la plupart de ses inventions : « Botaniste, peintre, amoureux de littérature, cet humaniste mêle dans sa production sa culture littéraire, la symbolique des plantes et la technicité des œuvres, et met le tout au service de son engagement pour la liberté et la justice. » Naturaliste, il dissimule derrière chaque animal ou plante un symbole : le sort de la Lorraine, l’Affaire Dreyfus, l’amour perdu… Il tire de l’art japonais le souci de parvenir à l’essence des choses et en assimile parfaitement l’esthétique. Si l’exposition détaille amplement le système symbolique convoqué, les innovations techniques sont, elles, explicitées dans le catalogue. Les vases présentés sont d’une grande diversité ; ils fascinent pour leurs couleurs (le Vase bégonia), leurs matières (les deux Vases aux orchidées tropicales), leurs formes (le Vase aux chauves-souris). Voulant « rompre avec l’idée kitsch et poussiéreuse qu’on se fait de Gallé », Gabriel Diss s’est appliqué à ne présenter que des pièces de choix sans recourir à aucun effet théâtral.
Même scénographie exemplaire du côté de la maison Majorelle, présentée, elle, dans son évolution. « De l’Art nouveau à l’Art déco et jusqu’au modernisme des années 1950, il n’y a pas un style, mais des styles Majorelle ; par contre, il y a une marque Majorelle », déclare Roselyne Bouvier, professeure d’histoire de l’art à l’École supérieure d’art d’Épinal et co-commissaire de l’exposition. Si Louis Majorelle s’accorde à ses débuts au goût du XVIIIe siècle ou s’inscrit dans le sillage de Gallé, il explore la voie de la modernité ouverte par ce dernier. Et invente son propre vocabulaire : rationalité (la Table fumoir en bout de canapé), fonctionnalité (la coiffeuse de 1930) et alliance des volumes (la Table nénuphar).
De l’atelier à la manufacture, tous deux franchissent la frontière qui sépare l’art de l’artisanat : si Majorelle s’applique à rendre l’art utile, Gallé cherche à l’ouvrir à de nouveaux publics. Ils accompagnent ainsi l’épanouissement de cette bourgeoisie industrielle de l’est de la France. L’histoire politique et sociale de la ville de Nancy apparaît en filigrane dans ces deux parcours, à travers les symboles de Gallé comme dans l’organisation industrielle de la maison Majorelle. À l’époque, rappelle Roselyne Bouvier, « Nancy est une place politique, un enjeu entre la France et l’Allemagne. L’éclosion de l’école de Nancy est liée à ce facteur ; à cela s’ajoute la présence d’une classe intellectuelle importante avec les universités de Nancy et de Strasbourg, mais aussi d’une main-d’œuvre importante ». Ainsi présentée à travers ces deux éminentes personnalités, l’école de Nancy illustre de façon singulière le destin particulier de la Lorraine.

ÉMILE GALLÉ, NATURE & SYMBOLISME « INFLUENCES DU JAPON », jusqu’au 30 août, Musée Georges-de-La Tour, place Jeanne-d’Arc, 57630 Vic-sur-Seille, tél. 03 87 05 98 30, tlj sauf lundi 9h30-12h et 13h30-18h. Catalogue, Serge Domini Éditeur, 143 p., 25 euros, ISBN 978-2-35475-010-7

MAJORELLE, UN ART DE VIVRE, jusqu’au 30 août, Galeries Poirel, 3, rue Victor-Poirel, 54000 Nancy, tél. 03 83 32 31 25, du mercredi au dimanche de 10h à 18h. Catalogue, coéd. Nicolas Chaudun, Paris/Musée de l’école de Nancy, Nancy, 208 p., 35 euros, ISBN : 978-2-35039-077-2

Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°304 du 29 mai 2009, avec le titre suivant : Réjouissances régionales

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