Le Musée Kröller-Müller présente, du peintre symboliste, l’œuvre lié à la littérature et à la musique à travers le prisme de la synesthésie.
Otterlo. Le Musée Kröller-Müller fête ses 80 ans avec une saison consacrée à Odilon Redon (1840-1916), dont il conserve la plus importante collection hors de France. Il répertoriait à son catalogue 185 œuvres du peintre français avant l’acquisition, annoncée en mai, de Tête de Persée (vers 1875). Cette huile sur toile est présentée au sein de l’exposition, dont le commissariat est assuré par Cornelia Homburg, conservatrice de la Washington University Gallery of Art et spécialiste de Van Gogh. Outre la collection d’Hélène Kröller-Müller, grande admiratrice de Redon, Cornelia Homburg a fait appel à une importante collection privée pour réunir les 167 œuvres correspondant à l’angle choisi, soit « le concept de la synesthésie, très populaire vers la fin du XIXe siècle : l’idée selon laquelle il est possible de susciter un ressenti plus intense en mettant simultanément plusieurs sens en éveil ».
Excellent musicien, Redon était écrivain à ses heures et cultivait l’amitié de nombreux auteurs et compositeurs. Il a illustré des textes littéraires et s’est inspiré d’opéras de Wagner. Cependant, dans ces ouvrages, il se refusait à paraphraser l’œuvre dont il s’inspirait mais cherchait plutôt l’équivalent plastique de l’émotion qu’elle lui procurait. C’était dans l’air du temps : dans son texte « Les synesthésies et l’école symboliste » paru en avril 1902 dans la revue Le Mercure de France, Victor Segalen cite le poème « Correspondances » de Baudelaire (Redon a publié une suite de neuf « Interprétations » des Fleurs du mal) et conclut son essai par une phrase tirée de La Tentation de saint Antoine de Flaubert, que Redon illustra.
L’ouvrage Odilon Redon Literature and Music (éd. nai010 Publishers, Rotterdam) rend brillamment compte de cet environnement symboliste ainsi que de l’intérêt manifesté par le peintre pour les idées débattues à son époque, comme celles que Darwin a développées dans L’Origine des espèces. Il dissèque la figure de Pégase, allégorie de l’artiste, les interprétations que Redon donne des héroïnes wagnériennes et des femmes fatales telle Salomé, liée au motif de la tête coupée, récurrent dans sa peinture. Cornelia Homburg est l’auteur d’un essai sur les « Femmes aux fleurs » de Redon : Brunehilde, Béatrice ou Ophélie.
L’exposition illustre ce livre. Passé un espace d’introduction biographique, est déroulée une série de lithographies et de pastels sur le thème de l’écoute et, surtout, du silence. L’une des plus belles œuvres du parcours, Le Bateau (Vierge au halo) (1898), appartenant au Musée Van Gogh d’Amsterdam est présentée ici. Des pastels remarquables comme Chimère, monstre fantastique, têtard (1883, Kröller-Müller), Pégase (1895-1900), Roger et Angélique (vers 1910), La Liseuse (1895-1900) ou Femme dans les fleurs (Stedelijk Museum d’Amsterdam) se mêlent aux séries de lithographies bien connues par la reproduction mais peu montrées en raison de leur fragilité. Un voyage magnifique dans l’œuvre de l’artiste et les visions que lui inspiraient la littérature et la musique. La lecture du catalogue est cependant nécessaire pour comprendre les cheminements complexes de ce peintre hors du commun.
jusqu'au 9 septembre, Musée Kröller-Müller, Houtkampweg 6, Otterlo, Hollande
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°505 du 6 juillet 2018, avec le titre suivant : Redon tout en correspondances baudelairiennes