À l’instar des architectes, les peintres ont souffert pendant la période révolutionnaire de l’instabilité politique chronique, condamnant leurs projets décoratifs à rester au stade de l’ébauche. Si Jacques Réattu (1760-1833) n’a pas échappé aux contingences de son temps, les dessins et esquisses réunis au Musée de la Révolution française, autour de son Prométhée, soulignent à quel point les événements ont imprégné l’œuvre du peintre arlésien.
VIZILLE - Affirmer comme Alain Chevalier, le directeur du musée, que “Jacques Réattu est un des peintres majeurs de la période révolutionnaire”, ne tient pas encore du lieu commun, tant l’artiste semble s’être acharné à se “disqualifier pour la postérité”. Non seulement il a refusé de faire carrière à Paris, mais il a choisi, après avoir raccroché les pinceaux, de collectionner ses propres œuvres ; s’il les a peut-être préservées ainsi d’un sort funeste, il les a soustraites à l’attention des historiens et des amateurs. Aujourd’hui, presque tous ses tableaux et dessins sont réunis au Musée Réattu à Arles, et encore l’exiguïté des lieux empêche-t-elle la présentation de la plupart des dessins et de certains grands formats, tels Prométhée, élevé par le Génie et protégé par Minerve, dérobe le feu du ciel.
Élément central de l’exposition, cette toile monumentale offre, dans le contexte révolutionnaire, une lecture inédite du mythe antique : il est difficile de ne pas faire le parallèle entre l’acte sacrilège du Titan libérant l’humanité des ténèbres, et l’avènement d’une ère nouvelle en 1789, précipitant bientôt la fin de la monarchie. “Les bras tendus des serments fondateurs, les gestes de tous les soldats de la Révolution se prolongent, se magnifient dans l’élan de Prométhée portant le flambeau”, note l’historien Michel Delon dans le catalogue. Roulé depuis la dernière guerre, ce tableau, en mauvais état, a été restauré pour l’exposition de Vizille, où il restera en dépôt pendant trois ans.
Si le Prométhée a été réalisé sans commande précise, Jacques Réattu, revendiquant son engagement politique, s’est attiré les faveurs du nouveau régime : en 1794, la Ville de Paris lui demande d’exécuter l’esquisse proposée lors du concours de l’an II, Le Triomphe de la Liberté, en grand format, tandis que Marseille fait appel à lui pour la transformation de l’église des Prêcheurs en Temple de la Raison. Rare exemple de décor associé à un culte révolutionnaire, l’ensemble marseillais aurait dû être constitué de dix grisailles – huit ont été réalisées, six conservées – aux thèmes explicites : L’Arbre de la Liberté défendu par la Force et par la Prudence des atteintes du Royalisme, du Fanatisme, de l’Athéisme et de l’Ignorance, ou encore Les Sciences et les Arts couronnés par le Génie de la France. “Les six compositions du Temple de la Raison seront successivement présentées à Vizille, cinq ans chacune”, explique Alain Chevalier, pérennisant la présence de Réattu au Musée de la Révolution française. Le cycle est resté inachevé et les toiles déjà peintes n’auront jamais été installées, car, dès 1795, le culte de la Raison n’est déjà plus de saison. De la même façon, Le Triomphe de la Liberté, très marqué par l’idéologie de la Montagne, doit être abandonné après le 9 thermidor ; Le Triomphe de la Civilisation qu’il lui substitue ne semble pas avoir connu meilleure fortune.
Exemplum virtutis
Au-delà de leur dimension politique, ces deux commandes trahissent son “hésitation entre une tendance néoclassique et une tradition néobaroque” : alors que les grisailles de Marseille s’affirment avec leur rigoureuse composition en frise d’une fidélité absolue à l’antique, les esquisses pour les deux Triomphes dévoilent un tempérament sensible à la rhétorique baroque et regardent ostensiblement vers le cycle de Rubens pour Marie de Médicis. Dans plusieurs dessins présentés ici, il fait preuve d’un goût indéniable pour les compositions complexes et l’accumulation de personnages. Son graphisme raffiné, évoquant la ligne inflexible de John Flaxman, n’en demeure pas moins un des plus beaux exemples de dessin néoclassique.
À l’image de La Philosophie méditant sur l’immortalité de l’âme est tentée par la Fortune, l’époque révolutionnaire reprend à son compte les ambitions morales et didactiques des arts sous le règne de Louis XVI. En ressuscitant, dans La Mort d’Alcibiade, l’exemplum virtutis antique, “Réattu cherche très certainement à exalter le sacrifice et la vertu patriotique du personnage, valeurs universelles et intemporelles dignes de la Révolution”, analyse Alain Charron, le conservateur des musées d’Arles. Cette composition ne sera, elle non plus, jamais terminée. Tel Cincinnatus, Réattu se consacrera, après l’avènement de Napoléon, à la viticulture et au commerce. Peut-être a-t-il refusé de peindre la gloire d’un tyran après avoir exalté le triomphe de la Liberté.
- JACQUES RÉATTU SOUS LE SIGNE DE LA RÉVOLUTION, jusqu’au 2 octobre, Musée de la Révolution française, château de Vizille, 38220 Vizille, tél. 04 76 68 07 35, tlj sauf mardi 10h-18h. Catalogue, Actes Sud, 128 p., 180 F.
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Réattu, la peinture et la Révolution
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°109 du 25 août 2000, avec le titre suivant : Réattu, la peinture et la Révolution