Qui est Betye Saar ?

Un plan du navire montre comment il était possible d’optimiser l’espace de la cale pour « stocker » le maximum d’esclaves – on parle aujourd’hui d’« esclavagisés ». On y voit, vue en coupe, des personnes noires entassées les unes contre les autres avec un souci de la rentabilité de l’espace jalousé par les transporteurs de bétail. Contrairement à ce que l’on peut penser, ce plan n’était pas utilitaire. Il fut, au contraire, dessiné à la fin du XVIIIe siècle par un abolitionniste afin de choquer l’opinion et de dénoncer les conditions inhumaines du commerce triangulaire. Ce plan, aujourd’hui conservé au Musée d’Aquitaine (Bordeaux), hante littéralement le travail de l’artiste africaine-américaine Betye Saar. Née en 1926, Betye Saar a aujourd’hui 96 ans. Si elle a participé à la réouverture du MoMA (New York) en 2019, elle est à peu près inconnue en France, où le Frac Lorraine, à Metz, lui programme sa première exposition. Œuvre récente, Gliding Into Midnight, que l’on peut traduire par « En glissant vers minuit », est l’une des œuvres les plus fortes de cette exposition. Elle se compose d’une barque peinte en bleu suspendue au-dessus de l’agrandissement du plan du Brookes. L’embarcation est remplie de charbon duquel émergent des mains noires en céramique. Le sens est explicite : symbole du passage vers l’au-delà, la barque rend hommage à toutes ces vies arrachées à l’Afrique. Pourtant, la lecture reste ouverte. Les mains sont autant de vies qui se noient, mais elles sont aussi autant d’arbres renaissants vers le ciel, vers l’espoir. Baignée d’une lumière qui accentue sa dimension dramatique, Gliding Into Midnight n’est pas mortifère ; au contraire, elle est pleine d’une subtile émotion que l’on retrouve dans les autres œuvres présentées à Metz. C’est là la force de Betye Saar, artiste qui ne cesse de questionner l’héritage de l’histoire : évoquer sans accuser ; donner forme à l’Histoire quand d’autres se contenteraient juste de dénoncer.