La BNF pose la question à travers une sélection de clichés issus de ses vertigineuses collections.
PARIS - La première image d’une exposition est comme la première phrase d’un roman : elle est, pour reprendre les termes de Pierre Michon, « la clef, le son, l’alliage parfait, l’aloi ». En choisissant la Feuille de vigne de William Henry Fox Talbot, un somptueux dessin photogénique daté de 1839 d’une feuille de vigne se découpant sur un camaïeu de rouge bordeaux, pour première image de leur réflexion sur ce que peut être un chef-d’œuvre en photographie, les commissaires Sylvie Aubenas et Marc Pagneux donnent le ton de leur propos, percutant, subtil. Et à double résonance. À partir de cet essai de Talbot pour la première fois exposé, et acquis par la Bibliothèque nationale en 1960 à Genève lors de la première vente aux enchères consacrée à la photographie historique, s’énonce aussi par bribes, se mesure, l’étendue exceptionnelle des fonds de la BNF. Celle-ci possède, en raison de son histoire et du dépôt légal mais aussi de la politique d’acquisition visionnaire de ses conservateurs, la collection la plus ancienne et la plus riche au monde avec cinq à six millions de photographies.
Belles perspectives de lecture donc que confirment les quatre-vingt-dix-neuf autres pièces sélectionnées dans le département des Estampes et de la Photographie de la BNF, et dans d’autres départements ou sites de l’institution comme le révèle l’étonnant portrait pétri d’espièglerie réalisé en 1922 par Edwin Curtis Moffat et Man Ray de Bronislava Nijinska costumée et grimée (issue du ballet de Léonide Massine). Un cliché de petit format tiré de la collection Boris Kockno, ami et secrétaire de Serge Diaghilev, détenu à la bibliothèque de l’Opéra et disposé là, entre le Portrait d’une jeune Indienne Caduveo de Claude Lévi-Strauss réalisé au Mexique entre 1935-1936 et la célèbre photo de Diane Arbus Exaspereted boy with a toy hand grenade (1963). Deux images emblématiques, l’une extraite de la dation Lévi-Strauss effectuée en 2007 au département des Manuscrits, l’autre choisie parmi les clichés les plus représentatifs de son œuvre par Diane Arbus elle-même en 1969 à la demande de Jean-Claude Lemagny, conservateur du département des Estampes et de la Photographie. La BNF, à ce titre, fut la première institution muséale française à détenir des photographies de Diane Arbus.
« Pas d’œuvres référencées comme la Joconde »
Plusieurs principes ont de fait prévalu à la sélection qui rassemble différents auteurs sans ordre chronologique. Choix d’abord d’œuvres de grands artistes (Atget, Nadar, Le Gray, Sullivan, Man Ray, Henri Cartier-Bresson, Brassaï, Kertész, Sudek, Arbus, Eggleston, Robert Frank, Fontana, Callahan, Caron, Lewis Baltz…) et de noms moins connus (Tripe, Laplanche, Rudomine, Aubry, Hoppé), délaissés comme Pierre de Fenoyl ou Luigi Ghirri, ou encore d’amateurs comme Degas, Segalen, Robert de Montesquiou et Zola. Zola dont l’autoportrait avec son chien Pimpin pris en 1895 dans le jardin de sa maison de Medan clôt le parcours qui mélange époques et genres, la photographie de Lewis Baltz réalisée en 1986 à Fos-sur-Mer dans le cadre de la Mission photographique de la Datar constituant l’image la plus récente du territoire dessiné par Sylvie Aubenas et Marc Pagneux. Un parti pris sortant la photographie numérique de son spectre pour mieux revisiter, à travers la beauté et la perfection de ces clichés anciens, toute leur modernité, leur inventivité et leur intemporalité.
L’exemplarité de l’œuvre dans le corpus et l’intérêt de sa provenance furent d’autres critères de sélection, de même que la perfection et la date du tirage. « Des critères essentiels dans le cas des œuvres multiples, que ce soit le livre, la gravure ou l’affiche », précise Sylvie Aubenas. tout en rappelant que « la sélection n’a pas été menée dans le but de présenter un florilège des cent plus belles photographies conservées à la BNF ou de proposer une histoire de la photographie en cent images, mais d’interroger la notion de chef-d’œuvre en photographie ». « Car à la différence de la peinture et de la sculpture, poursuit-elle, il n’existe pas de « Vasari de la photographie » qui aurait déterminé les grands auteurs du médium, ni d’œuvres référencées comme la Joconde ou la Vénus de Milo. La comparaison de tous les livres sur la photographie consultés à ce sujet, et listés à la fin du catalogue de l’exposition, montre d’ailleurs que cette notion revêt un caractère bien plus fluctuant qu’en peinture ou en sculpture en raison de l’histoire récente du médium, de son foisonnement et de sa diversité. » Reste l’aura identique et prégnante.
Jusqu’au 17 février 2013, BNF, site François-Mitterrand, quai-François Mitterrand, 75013 Paris, bnf.fr, tlj sauf lundi 10h-19h, dimanche 13h-19h.
Voir la fiche de l'exposition : La photographie en cent chefs-d'œuvre
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Qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre ?
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Abonnez-vous dès 1 €Commissaires de l’exposition : Sylvie Aubenas, directrice du département des Estampes et de la photographie, BNF ; Marc Pagneux, expert
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°381 du 14 décembre 2012, avec le titre suivant : Qu’est-ce qu’un chef-d’œuvre ?