Daniel Filipacchi et Nesuhi Ertegun, éditeurs l’un de presse, l’autre de disques, ont longtemps partagé la même passion pour l’art moderne. Le Musée Guggenheim de New York présente aujourd’hui sept cents œuvres surréalistes issues de leurs collections respectives. Histoire de collections, mais aussi de collectionneurs !
NEW YORK (de notre correspondant) - “Two private eyes”, la grande exposition estivale organisée par le Guggenheim de New York, réunit sept cents peintures, sculptures et dessins, ainsi que quelques manuscrits rares, résultats de “cadavres exquis”, d’expériences d’écriture automatique ou de décalcomanie, autant de jeux surréalistes. Elle est également le récit d’une d’amitié et d’une passion partagée pour l’art moderne qui remonte à la fin des années cinquante, celle de l’éditeur Daniel Filipacchi et de Nesuhi Ertegun, qui fut un magnat de l’industrie musicale.
Le goût d’Ertegun s’étendait aussi au Cubisme et à la peinture abstraite, à l’inverse de Filipacchi pour qui le Surréalisme est le seul centre d’intérêt. Si pendant des décennies les deux compères ont visité ensemble les galeries et côtoyé les artistes, leur amitié n’était pas pour autant exempte de rivalité : “C’était une course pour trouver la perle rare”, raconte Daniel Filipacchi. La bataille pour une œuvre se gagnait parfois sur un pile ou face ou une partie de poker. Au début, Ertegun, son aîné de dix ans, disposait d’un budget d’acquisition plus important : “Nous n’allions pas souvent au musée. Nesuhi m’a une fois fait cette drôle de remarque : “Je n’aime pas aller dans les endroits où il n’y a rien à acheter”.
Filipacchi dit avoir découvert le Surréalisme seul. À “neuf ou dix ans”, il avait fait l’acquisition du Revolver à cheveux blancs d’André Breton. Poussé par sa mère et son père, éditeur, il fréquente très jeune le milieu intellectuel parisien et ses figures marquantes, tels Jean Genet ou Antonin Artaud : “À dix ans, j’ai même eu l’honneur de recevoir une gifle d’Antonin Artaud, furieux que j’ai renversé un verre de jus d’orange sur son pantalon. J’ai vraiment été terrorisé, il avait des yeux qui vous transperçaient comme deux épées”. Compositeur-typographe dans une imprimerie, puis photographe de mode et paparazzo à Paris Match, qu’il rachètera plus tard, il se passionne pour le jazz et la bibliophilie. Lorsqu’il lance sa maison d’édition, ses premiers livres sont des monographies de Hans Bellmer, Wolfgang Paalen et Richard Oelze, “des ouvrages sur des artistes sur qui rien n’existait”. Lié avec Magritte, Dalí, André Masson, Max Ernst et sa femme Dorothea Tanning, il collectionne leurs œuvres et admire aussi Yves Tanguy et Bellmer. Quand Thomas Krens, le directeur du Guggenheim, lui a proposé cette exposition, il a d’abord hésité, se demandant si Ertegun aurait approuvé ce projet. Mais “après avoir réfléchi à notre passé, nos achats, nos différences et nos attitudes, je me suis dit qu’il aurait marché. Voilà tout ce que nous avons récolté ensemble”.
Jusqu’au 12 septembre, Guggenheim Museum, 1071 Fifth Avenue, tlj sauf jeudi 10h-18h, vendredi-samedi 10h-20h.
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Quatre yeux pour un regard
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°85 du 11 juin 1999, avec le titre suivant : Quatre yeux pour un regard