Le Musée Picasso, à Paris, montre comment l’artiste espagnol s’est nourri de l’œuvre du maître de Montauban.
PARIS - Parmi tous les artistes dont Picasso s’est inspiré, Ingres occupe une place de premier plan. Cocteau s’amusait d’ailleurs, dans une lettre datée de 1918, à le surnommer le « véritable Monsieur Ingres ». Le Musée Picasso, à Paris, met en exergue les rapports que l’artiste espagnol a entretenu tout au long de son œuvre avec le maître, à travers 110 tableaux, croquis et dessins. Du Bain turc (1865) aux Baigneuses (1918), de l’Angélique (1819) aux Deux femmes courant sur la plage (1921), le parcours confronte subtilement les deux artistes. Ce plaisant va-et-vient souligne la créativité de l’un et de l’autre mais aussi l’incroyable imagination dont Picasso a fait preuve pour se réapproprier l’œuvre de son aîné. « Si Picasso a choisi Ingres pour objet de son admiration, c’est sans doute parce qu’il a perçu en lui un véritable paradoxe de l’histoire de l’art et trouvé dans son œuvre une tradition qui détient tous les outils de son dépassement et de sa subversion », explique dans le catalogue Laurence Madeline, conservateur au musée et commissaire de l’exposition. Dès 1905, les tableaux et études préparatoires d’Ingres font partie intégrante du répertoire de Picasso. Du célèbre Bain Turc (1865), Picasso isole la scène de la femme se faisant peigner par une servante pour la réinterpréter dans La Coiffure (1905-1906). Il s’empare ensuite de la composition tout entière pour peindre une toile comme Le Harem (1906). Ici, il ne se contente pas d’emprunter à Ingres les figures féminines, mais s’inspire aussi bien de l’organisation spatiale que de l’atmosphère confinée et fortement érotique élaborée par son prédécesseur. Après sa période cubiste et la Première Guerre mondiale, Picasso entreprend une nouvelle série de travaux autour du Bain turc, installant cette fois-ci les femmes en plein air sur une plage intemporelle, comme dans Les Baigneuses (1918). Pour Laurence Madeline, Le Portrait d’Olga dans un fauteuil réalisé en 1917 (année du retour à un certain classicisme) témoigne au mieux de cette faculté qu’avait Picasso à recréer complètement un modèle tiré du répertoire ingresque. La toile serait une synthèse de différents portraits féminins d’Ingres, parmi lesquels le Portrait de Madame Rivière (1805), ici exposé. Même constat pour les nus réalisés par Picasso à la fin des années 1920 et dans les années 1930 (époque de ses déformations du corps humain). C’est bien la figure de L’Odalisque à l’esclave (1858) que Picasso réinvente pour Nu dans un jardin (1934), véritable alignement de morceaux de chair féminine, figurant le corps de Marie-Thérèse offerte et généreuse dans sa nudité. Si dans les années 1950 Picasso semble oublier Ingres, il retourne aux sources à partir de 1966, dans un esprit très différent toutefois. Il se montre ironique et familier, parodiant le travail précis et sérieux d’Ingres. Ainsi de l’imposant Jupiter et Thétis (1811) revu et corrigé par Picasso d’un simple coup de crayon : Jupiter a perdu toute autorité et se fait chahuter par une Thétis des plus effrontées. Un pied de nez désopilant qui souligne combien Picasso se joue du dialogue avec son aîné.
Jusqu’au 29 juin, Musée national Picasso, Hôtel Salé, 5 rue de Thorigny, 75003 Paris, tél. 01 42 71 25 21, tlj sauf mardi 9h30-18h. L’exposition sera présentée (partiellement) du 9 juillet au 3 octobre au Musée Ingres de Montauban. Catalogue, éditions RMN, 192 p., 39 euros.
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Quand Picasso réinventait Ingres
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Abonnez-vous dès 1 €« Le dessin est la probité de l’art […]. Si j’avais à mettre une enseigne au-dessus de ma porte, j’écrirais : École de dessin, et je suis sûr que je ferais des peintres », écrivait Ingres dans ses pensées sur la peinture et le dessin. Après Michel-Ange, Lorenzo Di Credi et Fragonard, le Musée du Louvre expose une cinquantaine de feuilles du peintre de Montauban, provenant des propres collections de l’institution. Des portraits à la mine de plomb aux études préparatoires pour les grandes compositions historiques et tableaux de nus, les dessins témoignent de la richesse du fonds du département des Arts graphiques – une douzaine de dessins issus de cette collection est d’ailleurs présentée au Musée Picasso à Paris (lire ci-contre). Parmi ces précieuses réalisations figurent les portraits de La Famille Forestier, de La Famille Lazzerini ou encore celui de Madame Destouches, l’un des plus célèbres d’Ingres. Le Louvre possède également des dessins reproduisant des compositions achevées tels Romulus vainqueur d’Acron, Le Songe d’Ossian ou encore Homère déifié... - JEAN AUGUSTE DOMINIQUE INGRES – DESSINS DU LOUVRE, jusqu’au 14 juin, Musée du Louvre, aile Denon, Paris, tél. 01 40 20 53 17. Catalogue, éd. des 5 Continents, 96 p., 15 euros.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°190 du 2 avril 2004, avec le titre suivant : Quand Picasso réinventait Ingres