Le Jeu de Paume présente quelques tirages issus des collections d’État pour esquisser une histoire sommaire de la photographie publicitaire. Un parcours qui tourne autour de l’objet mis en image et examine les attitudes visuelles adoptées par quelques grands noms – René-Jacques en tête – pour produire une image de marque.
Qu’elle se décline sous la forme d’un nom, d’un son, d’une couleur ou des valeurs qu’elle véhicule, l’image de marque d’un produit incarne aujourd’hui l’idée même de concurrence. Elle est signe de reconnaissance autant qu’hypothèse d’excellence. Sa construction est l’objectif premier de la publicité moderne. Dans le même temps, elle énonce une histoire exemplaire, capable de rendre compte de l’irrésistible surenchère publicitaire et créative à mesure que les produits se sont diversifiés et que l’ère de la consommation de masse s’est installée. C’est sur cette histoire que se penche le site Sully du Jeu de Paume, amorçant son propos dans les années 1920, alors que la publicité moderne prend forme et que les marques se chargent par leur mise en image de figurer le trait d’union entre le fabricant et un consommateur de plus en plus aguerri. Singulariser et identifier le premier. Séduire et fidéliser le second. Pour ce faire, la photographie s’impose très vite comme un outil immédiat et puissant, capable de transmettre un message autant que de soutenir le principe même de la stratégie publicitaire, supplantant rapidement l’affiche et le bon temps de la réclame. Une niche flambant neuve pour les photographes qui bénéficieront de cette manne pionnière autant que du prodigieux développement d’un territoire dans lequel tout reste encore à inventer. Une manière encore pour les commissaires de rappeler à quel point les photographes, même auréolés de leur « regard » d’artistes, à l’image de Kollar, René-Jacques ou Michel Bovis furent très largement tributaires de ces contrats publicitaires qui dessineront l’essentiel de leurs travaux.
Images réalistes, images fantasmées
L’exposition énonce brièvement la relation décisive nouée entre les marques et leur image photographique, portant un intérêt tout particulier aux années 1950, alors que déferlent de nouveaux produits estampillés du sceau de la modernité et que la production de masse dicte de nouveaux modes de consommation. Un premier chapitre rend compte de l’image transmise par le produit lui-même, un reflet légitimant le mode de production du produit vanté, authentifiant ses origines, sa fabrication et son usage, flirtant avec le reportage, tandis que le second volet s’attarde sur des stratégies expérimentales soumises aux fluctuations de la mode, prescrivant un produit fantasmé au consommateur. Un parti pris qui examine la marque en tant qu’image et produit plutôt qu’en tant que signe et qui ramène en définitive l’exposition à un panorama restreint et luxueux de la photographie publicitaire – interprétée comme des réponses – plutôt qu’à celui de la publicité tout court.
Parcours de photographes
Il est donc question de photographies, mais il est surtout question de photographes : René-Jacques – très présent dans le parcours – aligne cigarettes, ciseaux électriques fétichisés ou bouteilles de champagne Piper-Heidsieck réunies en un puissant et luxueux faisceau triangulaire en 1939, et Sam Lévin, en invariable photographe de studio, compose une brassée dynamique de lignes de force irisées pour valoriser Guerlain en 1965. Légitimer le produit par son savoir-faire, une stratégie récurrente – et toujours d’actualité –, c’est encore ce à quoi s’applique René-Jacques qui rend compte en 1951 des usines de montage de la 4CV à Billancourt, tandis que François Kollar réalise un reportage dans les ateliers Christofle. Les années 1950, extrêmement identifiées et identifiables, voient s’imposer une image de marque véhiculant valeurs et cultures. C’est le temps des mises en scène : Marcel Bovis compose un intérieur bourgeois et féminin pour le lancement de Marie-Claire en 1954, François Kollar enregistre à la même époque une atmosphère élégante et détendue entre clients de l’aéronef à réaction Comet, tandis que René-Jacques installe vers 1950 un ravissant modèle en maillot de bain pour accompagner une estivale pratique du Cinzano.
Du produit au concept
Progressivement, l’image s’éloigne du produit pour lui substituer un imaginaire, un climat, une culture. Mais ce ne sont encore que les prémices d’une consommation érigée en culture. Bien avant que le marketing de masse ne laisse place à un territoire fragmenté, soucieux de vendre des valeurs et des concepts tout autant que des produits, bien avant que les marques n’installent leur tyrannie, bien avant que la publicité ne vienne à son tour formater le regard des photographes, bien avant que le produit ne fasse « office de matériau de remplissage » de la marque, ainsi que l’analyse Naomi Klein dans son désormais culte No Logo.
« Images de marques. Du document au fétiche », PARIS, Jeu de Paume, site Sully, 62 rue Saint-Antoine, IVe, tél. 01 42 74 47 75, jusqu’au 22 mai.
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Quand l’image photographique fonde l’image de marque
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°568 du 1 avril 2005, avec le titre suivant : Quand l’image photographique fonde l’image de marque