Richard Deacon, Sui Jianguo et Henk Visch sont invités à réfléchir à la condition
de leur pratique dans une conversation à l’initiative de la Fondation Maeght.
SAINT-PAUL-DE-VENCE - Richard Deacon, Sui Jianguo et Henk Visch. À Saint-Paul-de-Vence (Alpes-Maritimes), la Fondation Maeght s’offre à des sculpteurs particulièrement solides dans leur mode d’expression tout comme dans leur notoriété, même si le troisième avait un peu disparu des écrans radars, ce qui rend son retour sur le devant de la scène d’autant plus bienvenu.
Trois sculpteurs donc, que nul point commun ne semble pourtant relier tant leurs pratiques sont hétérogènes, formellement très différentes les unes des autres. Et, s’ils sont d’une même génération, Deacon vit à Londres, Sui Jiango à Pékin, et Visch entre Eindhoven et Berlin. Mais ce que tous partagent tient à une forme de complicité ancienne : ils se connaissent depuis une vingtaine d’années, ont participé à des manifestations communes et ont souvent échangé. Mû par la volonté d’interroger le fait d’« être sculpteur aujourd’hui », Olivier Kaeppelin, le directeur de la Fondation, a souhaité « mettre en avant la pensée artistique » en se focalisant sur l’aspect concret de la sculpture.
Les complices se sont eux-mêmes, au cours d’une de leurs nombreuses discussions, qualifiés de « trois hommes dans un bateau ». L’embarcation n’est pas ivre même si les protagonistes avouent parfois, à côté de leurs convictions, certaines interrogations voire des doutes ou des remises en cause. Comme lorsque Richard Deacon, abordant le problème de l’arrangement de ses travaux, écrit à Henk Visch : « Curieusement, mon autre grande expérience du positionnement s’oppose presque complètement à ces principes, et c’est peut-être les règles que je m’étais fixées que je tentais alors de désapprendre. »
Puissance et fragilité
La cour de la Fondation est éclairante en ce qu’elle laisse se confronter trois approches visuellement aux antipodes, mais qui toutes affrontent sans détours la question essentielle de la monumentalité. À ce jeu-là, c’est Sui Jianguo qui semble l’emporter haut la main avec ses deux bronzes de 5 mètres de haut renvoyant paradoxalement à la fragilité du modelage. Le geste, qui en est bien à l’origine, se retrouve ailleurs, dans des œuvres aux dimensions plus modestes (Blind Portrait 3 et 4, 2013). Avec une sculpture brillante en métal brossé, Deacon ne masque rien non plus du processus de la sculpture ni d’une certaine organicité, intégrant à son œuvre le socle et les imposants boulons qui la stabilisent (Its like a Rock, 2015). Organique, Visch l’est lui aussi dans ce corps en bronze à la posture curieuse ; son étrange triangulation le rend manifestement non fonctionnel et fait se mêler dans sa sculpture, comme chez ses compères, des sensations de puissance et de fragilité (Unguided tour, 2014).
À l’intérieur, poursuivant cette conversation, le parcours est balisé de nombreuses citations des artistes eux-mêmes, s’exprimant sur leur propre pratique comme sur celle des autres. Les salles alternent accrochages collectifs et installations personnelles, qui toutefois lorgnent toujours un peu du côté du voisin. Comme lorsque de belles céramiques aux couleurs mêlées de Deacon, qui prennent le pli pour motif constitutif (Fold in the Fabric, 2009), répondent aux corps étranges disposés non loin par Visch ; tous deux engendrent là des esthétiques incertaines habitées par des plis et des torsions.
Se pose chez ces trois-là la question du concret, exprimée dans un échange entre Sui Jianguo et Henk Visch, lorsque, au premier déclarant : « Je pense que toutes les sculptures sont concrètes », l’autre répond : « Concret signifie qu’on peut toucher ; quelque chose de concret c’est quelque chose de réel, comme la matière. »
Des déclarations qui semblent entériner chez ces sculpteurs la réalité d’une ambiguïté constitutive de leur pratique même, tant l’aspect de leurs travaux ne s’éloigne du concret que pour mieux y revenir. En témoigne magistralement une longue installation de Visch, théâtrale et fragile, peuplée de créatures étranges et de fragments familiers, qui s’unissent pour témoigner de la pluralité du monde.
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Quand les doutes deviennent forme
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 13 mars, Fondation Marguerite et Aimé Maeght, 623, chemin des Gardettes, 06570 Saint-Paul-de-Vence, tél. 04 93 32 81 63, www.fondation-maeght.com, tlj 10h-18h, entrée 15 €. Catalogue, éd. Fondation Maeght, 168 p., 27 €.
Légende Photo :
Henk Visch, Unguided Tours, 2014, bronze, 210 cm. © Henk Visch. Photo : Galerie Tim van Laere
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°449 du 22 janvier 2016, avec le titre suivant : Quand les doutes deviennent forme