Le Musée des Arts décoratifs à Paris retrace l’histoire d’une technique et d’un succès familial : le « vernis Martin »
PARIS - Dans l’Europe des Lumières, tous les regards sont tournés vers l’Orient. Relayés par les marchands-merciers, les laques de Chine et du Japon s’arrachent sur le marché occidental et tout intérieur chic se doit d’abriter l’un de ces meubles au fond sombre orné de motifs allant du pourpre au doré. Face à cet engouement, les artisans européens rivalisent d’ingéniosité pour imiter au mieux ces pièces de luxe. Partout dans le monde, on parle alors de « laque » pour désigner les techniques développées par ces imitateurs. Partout, sauf en France, où c’est le mot « vernis » qui s’impose, terme auquel on accole aussitôt le nom des Martin. Cette famille de peintres-doreurs-vernisseurs n’est pourtant ni la première ni la seule à réaliser ce type d’ouvrages, mais son savoir-faire lui vaut une réputation immédiate. Parlant de Guillaume, le premier de la fratrie, l’artisan Jean-Félix Watin relate dès 1773 dans son Art du peintre doreur et vernisseur : « Le fameux Martin a trompé à cet égard plus d’une fois les plus habiles connoisseurs ; ces chefs-d’œuvre sont encore recherchés avec le même empressement que les anciens laques. »
Née d’une collaboration avec le Lackkunstmuseum de Münster, en Allemagne, la belle exposition du Musée des Arts décoratifs revient avec pédagogie sur l’histoire de ce fameux « vernis Martin ». En début de parcours, quelques éléments de mobilier en laque japonais et un paravent chinois confrontent le visiteur au modèle oriental, celui que les artisans parisiens copient dans un premier temps avec habileté, avant de s’en affranchir. En effet, si le vernis Martin complète d’abord les panneaux de laque asiatique que l’on plaque sur le mobilier occidental, il connaît très rapidement des usages beaucoup plus divers. La salle consacrée à l’essor de la couleur illustre bien la façon dont les vernisseurs tirent le meilleur profit de leur technique pour la mettre au service du nouveau goût rocaille : adieu camaïeux de noir, rouge et or, ils parent les meubles de bleu lapis et de jaune mimosa.
Selon la commissaire de l’exposition, Anne Forray-Carlier, c’est dans cette faculté à s’adapter, voire à anticiper le goût de l’époque que réside le secret de leur réussite. La commode de Madame Adélaïde (1755), conservée au château de Versailles, illustre cette émancipation : avec son décor de bouquets roses sur fond de laque blanche, elle n’a plus rien de commun avec les laques japonais. Autre singularité, ce meuble est le seul attribué avec certitude à l’un des Martin (Étienne Simon), dont le nom est mentionné dans l’inventaire du Garde-meuble. Contrairement aux autres corporations, celle des peintres-doreurs n’impose en effet ni poinçon ni marque distinctive. Impossible dès lors d’affirmer que les autres objets exposés dans la pénombre des salles du musée sont précisément sortis des ateliers des Martin, situés faubourg Saint-Antoine. Tous correspondent en revanche de façon précise aux inventaires de leurs productions. Celles-ci sont nombreuses car l’histoire du vernis Martin dépasse largement celle du mobilier : objets de toilette, clavecins, harpes, instruments scientifiques…, il envahit toutes les surfaces. Roi des imitateurs, il donne au papier mâché l’aspect de l’orfèvrerie et à la tôle celui de la porcelaine.
Parmi les nombreux prêts dont bénéficie l’exposition (dont beaucoup de mobilier est issu de collections privées), le plus impressionnant est sans doute l’immense berline de la maison du roi (v. 1760, Museu Nacional dos Coches, Lisbonne), exposée dans la nef centrale avec traîneaux et chaises à porteur. Symbole ostentatoire par excellence, la voiture parisienne du XVIIIe siècle est, elle aussi, décorée par les frères Martin. Ces derniers s’imposent d’ailleurs si bien dans le secteur hippomobile que leurs réalisations leur valent l’honneur d’être cités par Voltaire, qui en fait la publicité dans Nanine (1749) : « De la berline, elle est bonne et brillante. Tous les panneaux par Martin sont vernis » !
Commissariat : Anne Forray-Carlier, conservatrice au département XVIIe-XVIIIe du Musée des Arts décoratifs ; Monika Kopplin, directrice du Lackkunstmuseum de Münster
Jusqu’au 8 juin, Musée des Arts décoratifs, 107, rue de Rivoli, 75001 Paris
tél. 01 44 55 57 50, www.lesartsdecoratifs.fr, du mardi au dimanche, 11h-18h, nocturne le jeudi jusqu’à 21h
Catalogue, éd. Les Arts décoratifs, 320 p., 55€
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Quand le vernis français concurrençait la laque asiatique
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Abonnez-vous dès 1 €Anonyme, Berline de la maison du Roi, Paris, vers 1760, bois sculpté et doré, laques noire, rouge, peinture à l’huile vernie polie, laque aventurine, laque transparente, intérieur garni de velours bleu brodé d’or, taffetas bleu, cuir, verre et métal, Museu Nacional dos Coches, Lisbonne. © Museu Nacional dos Coches, Lisbonne.
Gilles Joubert et Etienne-Simon Martin, Commode de Madame Adélaïde, Paris, 1755, bâti en chêne et résineux, préparation, laque blanche, décor peint à l’huile, laque transparente, bronze argenté, marbre Sarancolin, Musée national du château de Versailles et des Trianons, Versailles. © Photo : château de Versailles, dist. RMN/Christophe Fouin.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°409 du 14 mars 2014, avec le titre suivant : Quand le vernis français concurrençait la laque asiatique