Familière de l’artiste, tout à la fois assistante, modèle et amie, Lydia a approché au plus près le mystère de la création matissienne dont elle a donné les clés dans deux ouvrages parus en 1986 et 1996.
Outre qu’elle fut récurrente et obsédante sous le pinceau et le crayon de l’artiste, Lydia Delectorskaya a permis de faire connaître encore plus, encore mieux, la création de Matisse. Certes, son hôte, universellement reconnu de son vivant, n’eut pas besoin d’elle pour que sa notoriété excédât les frontières. Il n’en demeure pas moins que cette « dame de compagnie », véritable cheville ouvrière des études matissiennes, nous a livré parmi les plus précieux témoignages d’une œuvre en train de se faire. Le génie, au participe présent.
« Je finis même par m’intéresser à ce qui se faisait »
Lorsqu’elle devient l’assistante de Matisse, Lydia D. ignore tout de l’artiste. Il faudra deux années et quelques chefs-d’œuvre (Le Reflet, 1935) pour qu’enfin la pose n’éveille plus chez la jeune femme un « sentiment de contrainte » mais, au contraire, une émotion jubilatoire.
Fée du logis, modèle zélé et secrétaire serviable, Lydia va peu à peu se mettre à consigner l’art et la manière du peintre : ce qu’il crée et comment il crée. Les deux ouvrages nés de ses souvenirs et de ses études – Henri Matisse, l’apparente facilité (1986) et Henri Matisse, contre vents et marées (1996) – s’apparentent moins à un hommage aveugle qu’à une expertise intime de l’œuvre. Incontournables, ils révèlent la mise en scène qui préside à certaines toiles (Corselet sur fond de Tahiti, 1936), la rigueur et la patience qu’induisent certaines compositions (Deux jeunes filles, robe jaune, robe écossaise, 1941) ou encore la pratique fervente, presque obnubilée, du dessin (Femme au chapeau, 1949).
Chez Matisse, la facilité ou l’apparente frivolité sont des leurres, des travestissements savants de l’« ordre » et de la « clarté » qu’il poursuit. Sa pratique est acharnée et régulière. Son métier est un sacerdoce. Il faut toujours recommencer, retoucher, reprendre pour pénétrer plus avant la singularité d’un motif ou d’un visage. Revenir, à la charge, aux choses essentielles. Dessin au trait et peinture alternent jour après jour pour qu’enfin transpire cela, ce presque rien qui déconcerte : la simplicité.
De la sorte, le remarquable Portrait de Lydia Delectorskaya (1947) – traduction saisissante du Portrait de Dora Maar (1937) par Picasso – paraît né de la spontanéité tandis qu’il résulte d’un long travail d’assimilation qui vit Matisse, des heures et des années durant, observer et étudier son modèle. Une œuvre magistrale qui porte la marque du génie, certes, mais aussi d’une chose si précieuse : la familiarité.
Informations pratiques. « Lydia D., muse et modèle de Matisse », jusqu’au 30 mai 2010. Musée départemental Matisse, Le Cateau-Cambrésis (59).
Tous les jours sauf le mardi, de 10 h à 18 h. Tarif : 7 et 4,50 €. www.cg59.fr
Matisse et la Russie. Lydia D. n’est pas
le seul lien qui unit Matisse et la Russie. Les collectionneurs Chtchoukine et Morozov acquièrent en effet dès 1905 de nombreuses toiles de l’artiste dont la célèbre Danse. Nationalisées en 1918, ces œuvres appartiennent aujourd’hui principalement aux musées de l’Ermitage de Saint-Pétersbourg et Pouchkine de Moscou. Outre les prêts consentis pour l’exposition sur Lydia D., les œuvres « russes » de Matisse sont également visibles en ce moment à l’Hermitage d’Amsterdam, dans l’exposition « De Matisse à Malévitch », jusqu’au 17 septembre 2010.
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Quand le modèle raconte le maître
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°623 du 1 avril 2010, avec le titre suivant : Quand le modèle raconte le maître