Imaginée par Serge Lemoine, l’exposition du Palazzo Grassi à Venise fait figure de manifeste, en essayant d’imposer la figure de Pierre Puvis de Chavannes (1824-1898) comme le véritable précurseur de l’art moderne. Cette nouvelle approche de l’histoire de l’art, provocante et parfois malhabile, réunit quelque 200 œuvres, signées Gauguin, Cézanne, Van Gogh, Redon, Munch, Matisse ou Picasso.
VENISE - “L’exposition ‘De Puvis de Chavannes à Picasso’ entreprend de montrer d’une façon nouvelle la naissance puis le développement de l’art du XXe siècle : celui-ci ne découle pas, comme on le pense généralement aujourd’hui de Manet et de l’Impressionnisme, mais d’un artiste qui est lui-même à l’origine d’une autre tradition : le peintre français Pierre Puvis de Chavannes”, explique Serge Lemoine, n’hésitant pas à affirmer dans le catalogue que “l’art des impressionnistes s’est révélé sans conséquences, sinon celle de provoquer des réactions salutaires à son encontre”. Quant aux raisons pour lesquelles l’histoire de l’art aurait négligé le rôle de Puvis de Chavannes dans l’invention de la modernité, le directeur du Musée d’Orsay en retient deux : d’une part, la peinture murale, principal moyen d’expression de l’artiste, serait passée de mode avec les transformations de l’architecture, et, d’autre part, on lui aurait préféré un art “immédiatement accessible”, celui des impressionnistes. Pour Bruno Foucart, le peintre n’a pas été retenu à cause de son originalité ; il serait à la fois “la déception du grand art idéaliste”, “trop extérieur au mouvement des naturalistes et des indépendants” et “pas vraiment symboliste”. Le parcours de l’exposition débute avec les œuvres de Puvis de Chavannes, des Jeunes filles et la mort (1872) à La Charité (1894), auxquelles succèdent différents artistes ou courants esthétiques qu’il aurait influencés : Gauguin, Seurat, Cézanne, puis les Nabis, suivis des différentes tendances du Symbolisme, Odilon Redon, Edvard Munch, le sculpteur belge George Minne, l’Allemand Ludwig von Hofmann ou Kazimir Malevitch. Enfin, la dernière partie souligne que Picasso et Matisse ont, eux aussi, été profondément marqués par Puvis de Chavannes.
Puvis et ses disciples
Parmi tous les artistes qui auraient puisé leur inspiration dans l’art de Puvis, Paul Gauguin serait son principal disciple. En témoigne D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? (1897), dont les personnages vus de dos, les éléments stylisés de la nature, les animaux et accessoires peints de manière synthétique, le thème retenu, évoquent effectivement des compositions comme Doux Pays (1882) ou L’Été (1891). Si l’on en croit cette nouvelle théorie, le véritable initiateur du mouvement nabi ne serait donc pas Gauguin, mais bien Puvis ! Il aurait aussi influencé le mouvement néo-impressionniste et des sculpteurs tels Maillol, Minne ou Bourdelle. De même, le Symbolisme prendrait ses racines non chez Gustave Moreau comme il est communément admis, mais dans des toiles comme L’Espérance (1872), Le Pauvre Pêcheur (1879) ou Le Rêve (1883)... Même s’il est possible que la période bleue de Picasso soit placée sous l’esthétique “puvisienne”, avec ses couleurs froides, ses formes simplifiées, la frontalité des sujets et l’ambiance mélancolique, on peut s’interroger sur les méthodes employées pour le démontrer. Puvis de Chavannes a-t-il réellement besoin de cette remise en question de l’histoire de l’art pour être réhabilité ?
- DE PUVIS DE CHAVANNES À MATISSE ET PICASSO – VERS L’ART MODERNE, jusqu’au 16 juin, Palazzo Grassi, San Samuele 3231, Venise, tél. 39 523 51 33. Catalogue, Flammarion, 567 p., 47 euros.
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Puvis, précurseur
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°146 du 5 avril 2002, avec le titre suivant : Puvis, précurseur