Le Palais de Tokyo offre à Julio Le Parc sa première exposition d’envergure
en France depuis longtemps. Membre éminent du cinétisme, l’artiste argentin propose l’une des expositions les plus réussies de ce printemps à Paris.
Julio Le Parc, « artiste chercheur » né en 1928 à Mendoza, Argentine, offre au Palais de Tokyo une exposition placée sous le signe de la démesure. Une démesure gorgée de lumières et de mouvements, singulièrement ludique, parfois merveilleusement dérangeante, à condition, bien sûr, d’apprécier une remise en question des habitudes visuelles.
En parcourant l’exposition, le visiteur ne peut qu’être étonné en lisant sur les cartels les dates des œuvres, des années 1950 jusqu’à aujourd’hui, alors que toutes semblent fraîchement sorties de l’atelier. Loin de tout système répétitif obsessionnel ou ennuyeux, cela bouge au Palais, cela éclaire, cela reflète, cela fait parfois du bruit et cela met fortement en émoi tous les sens.
Une carrière française jouée à pile ou face
Amorcée il y a plus de soixante ans en Argentine, poursuivie en France à partir de 1958, l’œuvre de Julio Le Parc n’a pas pris une ride. Il apparaît ici clairement que les recherches de ce « jeune artiste de 85 ans », membre fondateur du G.R.A.V. (Groupe de recherche d’art visuel) en 1960, dont une exposition est programmée à Rennes, sont totalement en phase avec les questionnements de jeunes créateurs comme Jeppe Hein, un Danois né en 1974, ou les Suisses Zimoun, né en 1977, et Philippe Decrauzat, né en 1974. C’est certain, Le Parc a toute sa place au sein de la « scène émergente ».
Mondialement reconnu à 38 ans – il obtient le grand prix de peinture de la Biennale de Venise en 1966 –, artiste engagé, pourfendeur des dictatures et tenace défenseur des droits de l’homme, Le Parc n’avait étonnamment bénéficié d’aucune exposition d’envergure en France depuis les années 1980, alors qu’à l’étranger la liste est longue. Quand on lui demande pourquoi, celui-ci répond en souriant : « Trop casse-pieds. Longtemps, on ne m’a pas pardonné cette histoire de 1972. Tu sais, c’était l’époque des grandes mobilisations d’artistes contre le pouvoir qui contrôle tout, y compris les institutions culturelles. Jacques Lassaigne me propose alors une importante rétrospective au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, dont il est le directeur. Je suis bien embêté. Je décide de la jouer à pile ou face. La pièce tombe pile et je refuse donc d’exposer. À partir de là, et pendant longtemps, il y a eu une vraie défiance des institutions françaises à mon égard. » Arpentant les 2 000 m2 du Palais de Tokyo en plein chantier d’installation de son expo, et veillant à l’agencement des moindres détails, l’artiste ajoute : « Pour mon travail, cela n’a rien empêché, au contraire. C’est cela qui est important ! »
« Combattre la passivité, la dépendance »
Il y a un « univers » Le Parc comme il y a un « univers » Caravage. Pleinement mis en valeur par une scénographie qui joue sur l’alternance des espaces sombres et des espaces lumineux, le parcours de l’exposition renvoie à la principale préoccupation de l’artiste : la participation physique du spectateur. Cela commence dès que l’on pénètre dans l’exposition par, justement, un « pénétrant », une grande pièce lumineuse aux murs réfléchissants où sont suspendues verticalement de larges et légères lattes translucides que l’on doit frôler pour avancer. L’œil, déboussolé, perd toute notion de distance spatiale.
Le parcours se poursuit dans une sidérante diversité, alternant Surfaces, Reliefs, Alchimies, Contorsions, Lumières, Mobiles, Modulations et Déplacements, pour se terminer par une dynamique et réjouissante Salle de jeux. Loin d’un inventaire à la Prévert, ces mots désignent des programmes différents prédéterminés très élaborés, comme la gamme unique de quatorze couleurs choisie par Le Parc en 1959 et jamais modifiée depuis.
Un immense Continual Mobile, qui inspira les fameuses robes en plaquettes métalliques de Paco Rabanne, avoisine des tableaux « cinétiques » élaborés avec une rigueur qui n’a rien d’austère. L’extrémité du vaste espace au rez-de-chaussée du Palais se clôt par Continuel-lumière cylindre (bois, métal, lumière, 1962-2005), un céleste bouquet lumineux en action de 6 m de diamètre. Magique !
Puis l’on quitte les espaces les plus sombres pour découvrir, parmi beaucoup d’autres, des pièces aussi variées que six toiles de 2 x 2 m peintes à l’acrylique, évoquant des cibles multicolores et disposées dans une salle cubique, ou un immense mobile de 6 m de diamètre constitué de 2 913 plaques en Plexiglas rouge translucide de 20 x 20 cm, Sphère rouge. Certaines de ces pièces sont des agrandissements à l’échelle du lieu d’œuvres plus anciennes. La règle de Le Parc étant de limiter la production de chaque œuvre à neuf exemplaires maximum. L’aventure s’achève avec Salle de jeux. Des sièges à ressorts, des lunettes déformantes, un sol instable, mais aussi des jeux de fléchettes et des sacs à boxer aux effigies variées : le militaire, l’artiste, le curé, etc.
Cette exposition monographique rend bien compte de l’extraordinaire variété des sollicitations auxquelles l’artiste aime confronter le spectateur, des plus sensibles aux plus turbulentes. Avec toujours cette volonté, comme le dit Le Parc, de « combattre la passivité, la dépendance ou le conditionnement idéologique en développant les capacités de réflexion, de comparaison, d’analyse, de création, d’action ». C’est plutôt bon signe que ce travail sorte enfin en France d’une confidentialité qui n’a que trop duré !
en avril, Julio Le Parc expose également dans trois galeries parisiennes, chez Denise René, Bugada & Cargnel et Lélia Mordoch.
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Promenons-nous dans... Le Parc
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°656 du 1 avril 2013, avec le titre suivant : Promenons-nous dans... Le Parc