De l’Ancien Empire (environ 2700-2200
av. J.-C.), le public retient surtout les pyramides de Djéser, Chéops, Chéphren et Mykérinos. Mais les fouilles menées depuis un siècle et demi en Égypte ont aussi permis de découvrir la richesse des décors peints et sculptés, de la statuaire, des objets et du mobilier funéraire sous l’Ancien Empire. Une facette méconnue que le Grand Palais illustre à travers une kyrielle de chefs-d’œuvre et de découvertes récentes. Il est dommage que le choix d’un parcours chronologique et le parti pris scénographique laissent un peu le visiteur livré à lui-même.
PARIS - Trois grandes statues aux visages impassibles gardent l’entrée de l’exposition. Avec leur frontalité un peu raide, leur modelé peu accentué, leurs têtes enfoncées dans les épaules et leurs membres collés au corps ou non dégagés, les deux effigies du noble Sépa et celle de la Dame de Nesa n’ont d’individuel que leur nom, inscrits en hiéroglyphes sur chaque socle. À l’autre bout du parcours, quelque quatre cents ans et trois dynasties plus tard, deux statuettes en ébène figurent le prêtre ritualiste Méryrê-hachetef. La première le représente adolescent. Réalisée d’une seule pièce, sans support d’appui, elle montre un jeune homme nu, élancé, souple, les membres libres, dont le mouvement de marche s’accompagne d’une légère inclinaison du corps, peut-être en signe de déférence. La seconde, de facture plus sèche et anguleuse, offre un visage expressif où apparaissent des signes de vieillissement, tels que cernes et joues creusées.
Nul doute qu’entre ces deux groupes sculptés un long cheminement technique, stylistique et même intellectuel s’est accompli. Et c’est probablement ce qu’a voulu montrer Christiane Ziegler, commissaire de l’exposition, pour battre en brèche l’idée d’un art égyptien immuable.
Un pari périlleux
Cependant, le choix d’un parcours chronologique n’est pas sans poser quelques problèmes. En l’absence de point de référence fixe, toutes les dates sont hypothétiques et controversées, comme l’expliquent les textes muraux de la première salle, intelligemment réservée à cette introduction. Mais une fois dans le parcours, le travail de datation des œuvres n’est pas explicité, à l’exception du Scribe assis du Louvre.
D’autre part, si les sections correspondent aux quatre dynasties de l’Ancien Empire, le circuit au sein des salles – vastes et sans cloisons – est en revanche plus flou. Passé les panneaux explicatifs résumant l’histoire et les caractéristiques de chaque période, les cartels se révèlent un peu laconiques, et le visiteur rebondit d’une vitrine à l’autre sans trop savoir ce qui rapproche ou oppose les pièces exposées. Dans la section consacrée à la IIIe dynastie, se côtoient, sous le titre “Djéser”, des faïences bleues et vertes décorant les appartements souterrains de la pyramide du grand pharaon, une stèle de son successeur Sanakht et des bracelets en or du roi Sekhemkhet. Toujours dans la même salle, on tombe ensuite sur les beaux décors peints du mastaba de Néfermaât et Atet, pourtant datés de la IVe dynastie dans le catalogue.
Un parcours thématique aurait sans doute été moins déroutant. On s’en rend d’ailleurs compte, a contrario, dans la partie où ont été rassemblées des effigies de couples datant de la fin de la IVe dynastie, et dans la salle des “modèles” qui réunit des figurines atypiques et naturalistes de serviteurs effectuant des tâches quotidiennes. Placées dans la tombe du défunt, elles continuaient à le servir dans l’au-delà.
Par ailleurs, bien que la scénographie de l’Agence Bodin évoque l’architecture d’un temple égyptien, la mise en scène des œuvres semble parfois insuffisante. Tant qu’à adopter un parti pris esthétique, certaines pièces auraient mérité d’être davantage placées en exergue, notamment pour la IVe dynastie où les chefs-d’œuvre abondent, depuis le majestueux Chéphren assis jusqu’à la magistrale Triade de Mykérinos, en passant par le complexe bas-relief des Archers, du règne de Chéops, le novateur Mykérinos et son épouse, et l’inquiétante petite Tête de Chéphren aux yeux incrustés. Par rapport à l’époque précédente, les modelés s’amplifient, une attention nouvelle est portée aux traits physiques. Représenté en scribe assis, le prince Setka, fils aîné de Djedefrê, offre un visage rond au menton fuyant caractéristique, et les plis de son ventre évoquent un certain embonpoint. Plus tard, sous la VIe dynastie, la dernière de l’Ancien Empire, on assistera à une stylisation “maniériste” de la figure humaine, avec des corps étirés, des têtes disproportionnées et des yeux démesurément agrandis.
Mais l’approche stylistique ne doit pas faire perdre de vue que les objets rassemblés au Grand Palais appartiennent au domaine funéraire et que leur problématique n’était pas tant artistique que vitale : il s’agissait de maintenir l’ordre cosmique sur terre grâce à Pharaon, dieu lui-même et intercesseur auprès des dieux. Les images et les textes étant magiques et permettant d’activer le sens de ce qu’ils désignaient, ils devaient se montrer stables, à l’image du monde. Cet aspect essentiel passe au second plan dans l’exposition, pour n’apparaître vraiment que dans la belle évocation de la tombe de Mêtchétchi : “Ô vivants qui êtes sur terre, fait écrire ce fonctionnaire “bienheureux auprès du roi Ounas” (2380-2350 av. J.-C.), remerciez le roi afin que vous puissiez vivre. Veillez sur son travail, protégez son commandement. Ce sera plus utile à celui qui le fait (qu’à celui pour lequel c’est fait). Il sera un bienheureux aimé de son dieu. Il sera sauf grâce à cela.”
Jusqu’au 12 juillet, Grand Palais, entrée square Jean Perrin, 75008 Paris, rens. Internet : www.expo-egypte.com, tlj sauf mardi et 1er mai 10h-20h, mercredi 10h-22h, réservation obligatoire entre 10h et 13h (tél. 0803 803 803). Catalogue 290 F jusqu’au 30 juin, Petit Journal 15 F.
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Pour le meilleur et pour l’Empire
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Abonnez-vous dès 1 €- Catalogue de l’exposition, RMN, 416 p., 550 ill., 290 F jusqu’au 30 juin, 340 F ensuite. ISBN 2-7118-3848-X. Une présentation historique et thématique – l’architecture, les bas-reliefs, la peinture, la statuaire et les arts décoratifs dans l’Ancien Empire – précède la section des notices, très détaillées et souvent accompagnées d’un graphique. Avec sa riche bibliographie, ce catalogue se veut un ouvrage de référence. Malheureusement, les nouvelles datations n’ont pas pu être toutes intégrées dans la version française. - Les pyramides d’Égypte, J.-P. Adam et C. Ziegler, Hachette Littératures, 214 p., 144 ill., 275 F. ISBN 2-01-235500-5. La commissaire de l’exposition et un architecte-archéologue du CNRS proposent, dans une langue claire et accessible, une synthèse sur l’organisation sociale, les rites, les croyances et surtout l’architecture funéraire et son décor dans l’Ancien Empire. - Les pyramides des reines, une nouvelle nécropole à Saqqâra, A. Labrousse, M. Albouy, J. Leclant, Hazan, 160 p., 150 ill., 245 F. ISBN 2-85025-684-6. Le directeur de la Mission archéologique française à Saqqâra fait le point sur dix ans de fouilles et de découvertes. Après un chapitre général sur la nécropole royale de Memphis, la description des méthodes d’investigation archéologique, les reconstitutions informatiques et les photographies de fouilles commentées donnent des informations très précises sur le complexe pyramidal de Pepi Ier et de ses reines. - À lire aussi notre hors série, L’art égyptien au temps des pyramides, 20 p., 20 ill. couleur, 25F
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°81 du 16 avril 1999, avec le titre suivant : Pour le meilleur et pour l’Empire