Près de dix ans après leur rétrospective à Paris, au Jeu de paume, le collectif Art & Language s’empare du Musée d’art moderne de Villeneuve-d’Ascq pour donner sa version de l’histoire. À l’origine de l’art conceptuel, le groupe, aujourd’hui réduit à un duo, surprend par son humour et sa lucidité face à trente ans de productions communes.
VILLENEUVE-D’ASCQ - C’est à l’aide de simples panneaux de bois, dans un accrochage serré et nostalgique plus proche de la salle de patronage que du “white cube”, qu’Art & Language semble avoir pris en charge sa rétrospective. Sur les deux cimaises qui se font face, rien ne manque. Peinture dont seul l’auteur connaît le contenu (Secret Painting), œuvre aux dimensions spécifiées par écrit (Guaranteed Painting), ou affichage des composants de la couche picturale (Abstract Art)... un véritable “best of” de l’art conceptuel – mouvement auquel Art & Language est intimement lié –, s’offre au spectateur. Pourtant, c’est plutôt d’un remake dyslexique dont il s’agit. Les pourcentages des 100 % abstract ne tombent pas justes (67,5 %, 39,9 %), le “silicate” se transforme en “syndicate”. Recensant ces doublons, la série Homes for Homes rayonne dans les autres pièces, postant dans les moindres recoins de l’exposition des copies plus ou moins bonnes, mais toujours originales. Éminemment réflexif dans sa pratique artistique, le collectif Art & Language ne pouvait pas laisser de côté la figure imposée de la rétrospective. En sous-titrant leur exposition de la mention “2002-1965”, les Anglais ne soulignent pas tant avec vanité leur actualité que leur désir de mettre tout tête en bas, de porter un nouveau coup contre le musée et l’histoire de l’art. Aujourd’hui seuls maîtres à bord d’un collectif à géométrie variable, Michael Baldwin et Mel Ramsden aiment à comparer l’institution au monde d’Humpty Dumpty décrit dans À travers le miroir de Lewis Caroll. C’est plutôt dans la peau d’Alice que le visiteur est invité à contempler l’histoire d’Art & Language. Par sa seule présence, Homes from Homes invite à une réflexion sur le supposé sérieux de l’art conceptuel. De détail en détail, l’humour fait place à l’apparente austérité de leur travail. Ainsi, reproduites dans Sighs Trapped by Liars (1996-1998) ou dans Wrongs Healed in Official Hope, les pages d’un roman de gare sadomaso voient leurs mots échangés. Une véritable “textual fury” !
Les impasses de l’art conceptuel, Art & Language les ont rapidement senties. L’esthétique bureaucratique et informationnelle, née dans les années 1960, est stigmatisée dans le face-à-face qui oppose l’aridité d’Index 01 (1972) et le décoratif de Wrongs Healed in Official Hope (1998-1999), et, de façon plus ambiguë, dans le jusqu’au-boutisme inhérent à leur démarche. Lire et tenter de comprendre les statements d’obédiences crypto-marxistes du groupe force un sourire comparable à celui provoqué par les discours de Jean-Pierre Léaud dans la Chinoise de Godard. Est-ce seulement l’effet du temps ?
Comme tout un chacun, Art & Language a négocié dans les années 1980 un retour à la peinture tonitruant. Que cela soit par leurs jeux sur l’opacité du médium, signifié par l’inscription du mot “Surf”, abréviation de surface, sur nombre de leurs toiles, ou le non-dit des Index XVII (Now They Are) qui cachent L’Origine du monde de Courbet, le virage n’a pas été sans accrocs. L’apparition subliminale du portrait de Lénine au centre d’un “Pollock” (V. I. Lenin by Charangovitch (1970) in the style of Jackson Pollock, 1980) replace ainsi violemment l’abstraction américaine dans le contexte de la guerre froide. Interrogation sur la notion de compétence, de performance sur le statut de l’artiste, Index : The Studio at 3 Wesley Place Painted by Mouth (1982) s’inscrit dans une veine similaire. Tableau d’histoire, il adopte les dimensions de l’Atelier de Courbet, son ambition allégorique et rétrospective et sa virtuosité technique, puisque l’ensemble de la toile a été peinte à la bouche ! Distanciées, froides et cyniques, ces collisions n’en conservent pas moins une dimension potache. Déconcertant, l’humour manié par Art & Language n’est pas sans s’apparenter à celui d’un autre collectif britannique fameux, les Monthy Python.
- ART & LANGUAGE, TOO DARK TO READ, MOTIFS RÉTROSPECTIFS, 2002-1965, jusqu’au 20 mai, Musée d’art moderne Lille-Métropole, 1 allée du Musée, 59650 Villeneuve-d’Ascq, tél. 03 20 19 68 88, tlj sauf mardi, 10h-18h, catalogue accompagné d’un cédérom.
L’accès à la totalité de l’article est réservé à nos abonné(e)s
Plus drôle qu’il n’y paraît
Déjà abonné(e) ?
Se connecterPas encore abonné(e) ?
Avec notre offre sans engagement,
• Accédez à tous les contenus du site
• Soutenez une rédaction indépendante
• Recevez la newsletter quotidienne
Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°144 du 8 mars 2002, avec le titre suivant : Plus drôle qu’il n’y paraît