Boris Vian avait cette phrase cinglante et amusante : « Tout objet peut être un objet d’art pour peu qu’on l’entoure d’un cadre. » Mais Picasso n’avait nullement besoin d’un cadre pour qu’une terre cuite, une assiette ou un briquet prennent soudain une dimension plastique exceptionnelle.
L’exposition conçue par Bruno Gaudichon et Joséphine Matamoros révèle ainsi avec bonheur un pan ignoré des créations de l’artiste catalan : celle du rapport à l’objet. « Peintre d’objets/objets de peintre », tel est le chiasme qui préside à la visite. Celle-ci permet d’abord de retrouver au sein de natures mortes le rôle fétiche du compotier, dans une première salle sans surprise mais qui lance idéalement la suite, d’une richesse et d’une diversité détonantes. Conformément à l’idée qu’on se fait couramment de l’auteur de la Tête de taureau, Picasso opère des métamorphoses et des assemblages étranges. En attestent par exemple sa Femme aux cheveux verts de 1948 ou sa Tête de femme au chignon de 1962. Mais plus encore, Picasso se montre le réalisateur scrupuleux d’objets quotidiens, usuels, soudain agrémentés d’une touche de génie. Tapis, assiettes, ronds de serviette, bijoux deviennent les supports de recherches esthétiques complexes. Intrusion de l’art dans la vie ou détournement de la vie au service de l’art ? Un peu des deux : la frontière se fait poreuse, précisément parce que – n’en déplaise à Boris Vian – les objets ne sont jamais entourés d’un cadre… L’exposition permet de mesurer l’inventivité foisonnante de l’artiste en matière de scène, puisque, grâce au travail de Brigitte Léal, des costumes, des accessoires et des décors de ballets sont présentés. Le célèbre cheval de Parade, qui suscita en 1917 la plus vive indignation, devrait au contraire réjouir les visiteurs, notamment les plus jeunes. Après « Picasso-Ingres », le musée de Céret et la Piscine à Roubaix (du 8 octobre au 9 janvier 2005) parviennent encore à apporter un œil neuf sur le créateur le plus étudié du xxe siècle. Ce n’est pas la moindre des gageures...
« Picasso : peintre d’objets / Objets de peintre », CÉRET (66), musée d’Art moderne, 8 bd Maréchal Joffre, tél. 04 68 87 27 76, 12 juin-19 septembre. Cat. Gallimard, 240 p., 303 ill., 45 euros.
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Picasso, homme objet
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°561 du 1 septembre 2004, avec le titre suivant : Picasso, homme objet