Pour Steven Nash et Robert Rosenblum, la vie de Picasso dans le Paris occupé par les nazis est l’une des périodes de son existence les moins documentées. Les deux conservateurs américains abordent cette époque dans leur exposition « Picasso et les années de guerre : 1937-1945 ».
SAN FRANCISCO - Au California Palace of the Legion of Honor, à San Francisco, l’exposition réunit quatre-vingts œuvres choisies par Steven Nash, conservateur en chef du Museum of Fine Arts de San Francisco, et Robert Rosenblum, du Musée Guggenheim de New York où elle sera présentée ensuite. Toutes témoignent de la sensibilité de Picasso face aux événements historiques de l’époque, depuis la guerre d’Espagne jusqu’à la Libération, en passant par l’Occupation. “Je me suis intéressé à cette période en 1992, lorsque le Museum of Fine Arts a fait l’acquisition de Nature morte avec crâne, poireaux et cruche, un Picasso de 1945, déclare Steven Nash. Dès que j’ai commencé à faire des recherches sur cette œuvre, je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup d’informations contradictoires, voire un manque d’information, sur la vie de Picasso au cours de ces années de guerre”. L’attitude du peintre à cette époque resterait ambiguë. “Immédiatement après la guerre, Alfred Barr, du Museum of Modern Art, a tenté de faire de Picasso un héros de la Résistance, souligne Nash. Mais le mythe a été déboulonné par Christian Zervos, lui-même résistant. Certains personnes se sont demandé comment il avait pu vivre et travailler sous l’Occupation sans être inquiété ; d’autres encore considéraient comme une erreur son engagement dans le Parti communiste après la guerre”. Pour Steven Nash, durant cette période, Picasso cherchait avant tout à survivre. Jusqu’en 1937, il était apolitique, mais peu a peu est née chez lui une conscience sociale et politique qui ne transparaît pas dans ses œuvres : à l’exception de Guernica et de Rêve et mensonge de Franco, il ne s’est pas attaché à peindre des faits historiques. Cependant, sa sensibilité latente face à la guerre et au fascisme se manifeste dans ses toiles sombres et les images récurrentes de femmes en pleurs dont le modèle était sa maîtresse, Dora Maar. En la quittant, après la Libération, Picasso s’est affranchi du soutien émotionnel et artistique dont il avait eu besoin au cours des années de privation.
L’exposition américaine pose certaines questions : comment Picasso a-t-il pu garder son atelier de la rue des Grands-Augustins, surtout après avoir été accusé d’antifascisme par le consulat d’Espagne, qui avait essayé de prendre possession des lieux immédiatement après l’occupation allemande ?
La situation est loin d’être manichéenne, selon Steven Nash : “Il semble évident que certaines personnes sont intervenues en faveur de Picasso. Dans ses mémoires, Arno Breker, le sculpteur préféré de Hitler, a écrit qu’il l’avait aidé pendant cette période. Il est fort probable que même si les deux hommes n’étaient pas proches, Arno Breker ait joué un rôle d’intermédiaire, tout comme Jean Cocteau”.
Picasso lui-même a fait circuler des rumeurs qui devaient par la suite se révéler fausses. “Il a déclaré qu’il ne pouvait pas exposer à Paris pendant la guerre, mais c’est faux, déclare Steven Nash. Ses œuvres ont été exposées à Paris durant toute la guerre. Et les tableaux de moyenne gamme, particulièrement les œuvres cubistes, se sont vendus à des prix records lors d’une vente à l’Hôtel Drouot. En montant cette exposition, j’ai découvert que la production artistique à Paris avait atteint des sommets à cette époque”.
Jusqu’au 3 janvier, California Palace of the Legion of Honor, Lincoln Park, San Francisco, tél. 1 415 750 3600, tlj sauf lundi 9h30-17h. Puis au Guggenheim Museum, New York, 5 février-26 avril. Catalogue, Thames & Hudson, 256 p., env. 300 F.
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Picasso et l’Occupation
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°73 du 18 décembre 1998, avec le titre suivant : Picasso et l’Occupation