La dette des Demoiselles d’Avignon envers les arts premiers est connue. En revenant sur un sujet déjà traité, le Musée du quai Branly prend toutefois le parti d’écarter l’approche formaliste des œuvres pour s’intéresser à la part «Â primitive » de l’élan créateur, partagé par Pablo Picasso et les artistes extra-occidentaux.
LA MAIN CRÉATRICE
Lequel de ces deux objets a-t-il été modelé par la main de Picasso ? Il faut lire les légendes ci-dessous pour le savoir. Celui qui a regardé, avec tant d’érudition, « les maîtres » – souvenons-nous de l’exposition au Grand Palais, en 2008 – a aussi porté son regard vers la forme de la création la plus primitive, jusqu’à flirter avec l’informe. Composé de bois et de matériaux composites, l’étrange objet boli (Mali) [à droite] a des vertus magiques. Mais que dire alors de celui réalisé par Picasso ? Et si le maître était un sorcier comme les autres ?
LA VIE DES FORMES
Qu’est-ce qu’un visage ? Deux trous pour évoquer les yeux, et un autre pour la bouche, nous apprend Picasso lorsqu’il assemble, en 1919, du carton peint avec de la ficelle [à droite]. Il réitérera sa leçon en 1943 quand, à partir d’un simple morceau de papier déchiré, il « sculptera » un crâne. Les artistes africains, comme ce sculpteur d’un masque Dan, et océaniens sont eux-aussi arrivés aux mêmes conclusions. Lequel a copié l’autre ? La question ne se pose pas en ces termes, mais plutôt de recherches différentes, sinon divergentes, qui aboutirent à des résultats formellement proches et, par là, universelles.
L’ART DE LA TROUVAILLE
L’exposition « Picasso Sculpture » au MoMA à New York, puis au Musée Picasso à Paris, a rappelé combien Picasso excellait dans l’art de faire surgir de nouvelles formes à partir de matériaux de récupération – à l’instar de la Guenon et son petit (1951) réalisée à partir de petites voitures pour enfant. Sa Femme à la poussette de 1950 est obtenue, elle, à partir d’une plaque de four pour le chemisier, de moules à gâteaux pour les seins… assemblés puis fondus en bronze. L’exposition du Quai Branly la rapproche de la sculpture dédiée au dieu Gou du sculpteur béninois Akati Ekplékendo – que l’on pourrait penser contemporaine de Picasso, mais qui date pourtant de 1858 ! Ces deux œuvres montrent comment les créateurs peuvent transformer leur environnement pour donner corps à leurs idées.
L’ART MAGIQUE
Picasso visite en 1907, « par hasard », le Musée d’ethnographie du Trocadéro avec son ami Derain. Cette découverte des arts primitifs fait alors comprendre à Picasso pourquoi il est peintre et entrevoir la puissance magique de la peinture. Cette révélation coïncide avec l’exploration plastique déjà engagée par l’artiste, quelques mois auparavant, en 1906, vers des formes de plus en plus épurées, plus stylisées. Picasso dira d’ailleurs plus tard à Malraux : « Les Demoiselles d’Avignon ont dû arriver ce jour-là mais pas du tout à cause des formes : parce que c’était ma première toile d’exorcisme, oui ! » La verticalité de la figure et le jeu combinatoire des formes permettent à Picasso comme à l’artiste africain qui a sculpté ce gardien de reliquaire de dire la présence presque ontologique de l’Être.
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Picasso, artiste au sens primitif
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 23 juillet 2017. Musée du quai Branly-Jacques Chirac, 37, quai Branly, Paris-7e. Ouvert tous les jours de 11 h à 19 h, jusqu’à 21 h le jeudi, le vendredi et le samedi. Fermé le lundi. Tarifs : 10 et 7 €. Commissaire : Yves Le Fur. www.quaibranly.fr
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°701 du 1 mai 2017, avec le titre suivant : Picasso, artiste au sens primitif