L’exposition emprunte plus de 200 œuvres aux arts « statiques » et propose de visionner l’histoire des XXe et XXIe siècles à la lecture des films d’avant-garde, de films expérimentaux et de vidéos d’artistes.
Philippe-Alain Michaud, conservateur pour le cinéma au Centre Georges Pompidou, a dessiné le nouveau story-board des collections nationales. Il nous en livre le pitch.
Quelles leçons avez-vous tiré de l’exposition « Big Bang », le précédent accrochage du Centre Pompidou ?
P.-A. Michaud : Les deux accrochages sont complémentaires. Dans « Big Bang », il y avait beaucoup d’œuvres. C’est d’ailleurs une des raisons du succès de cette exposition. Nous, nous avons fait le choix d’en installer moins. Mais il y a davantage d’art contemporain, d’installations, des choses que nous n’avions jamais présentées jusqu’ici dans le musée faute de place, des acquisitions récentes. Cela dit, toutes les décennies du siècle sont représentées.
La complémentarité tient aussi au choix des thèmes. L’idée de « Big Bang » était d’interroger l’art des xxe et XXIe siècles autour du thème de la destruction et de la création. Avec le mouvement lié à la question du cinéma (mouvement, reproductibilité), nous avons les deux grands concepts qui ont renouvelé la théorie de la production des images, la poétique occidentale au xxe siècle.
De quel cinéma l’accrochage « Le Mouvement des images » parle-t-il ?
Nous sommes parti d’une conception formaliste du septième art, de la collection du musée (ses films expérimentaux et d’avant-garde) et du constat suivant : ces films normalement diffusés dans des salles de cinéma appellent un public qui est plutôt celui des visiteurs de musée. Ainsi, en exposant ces films, nous les faisons rejoindre leur public.
Au XXIe siècle, il y a une sorte de grande migration des images en mouvement des salles de projection vers les salles d’exposition, une migration portée par la révolution numérique. Il est donc peut-être temps de produire une définition élargie du cinéma. Le cinéma expérimental, au xxe siècle, a été le fil rouge permettant de voir le cinéma dans sa totalité, mais il n’est pas tout entier pensable à partir de l’expérience de la projection publique.
Quelles sont les recherches du cinéma expérimental au xxe siècle ?
Cette partie proprement expérimentale a toujours essayé d’élucider ses propres conditions de possibilités, et d’isoler les propriétés fondamentales du cinématographique. Et au terme de cette élucidation, à mon sens, nous trouvons quatre grands concepts qui forment les quatre grandes rubriques de l’accrochage : défilement, projection, montage et récit.
Ce sont des déterminations formelles, mais, en même temps, elles ont une pertinence historique.
Comment expliquez-vous la très grande discrétion du cinéma populaire dans l’exposition ?
Nous étions limités par la nature de la collection. Cela dit, l’idée n’était pas de faire une énième exposition sur art et cinéma. Dans le titre, une virgule sépare «art et cinéma, c’est plus ambigu.
L’idée était d’exposer les films sur des cimaises comme des peintures et, aussi, de montrer comment le cinéma a diffusé dans tous les arts plastiques. L’iconographie cinématographique ne constitue qu’une partie de l’exposition. Très souvent, on voit l’écran de cinéma comme une fenêtre qui ouvre sur le monde. Or on peut aussi concevoir cet écran comme une surface sur laquelle il y a des effets compositionnels, exactement comme dans la peinture.
À quoi tiennent les manques flagrants de l’accrochage, comme le futurisme italien ou le design ?
Cela tient à la nature de la collection pour le futurisme. Quant au design, c’était la chose la plus compliquée à traiter du point de vue cinématographique.
Il ne fallait pas non plus rendre les œuvres captives du motif de l’exposition. Il fallait les montrer pour elles-mêmes, les laisser respirer. C’est aussi pour cela que nous avons mis moins d’œuvres, pour qu’elles puissent prendre toute leur ampleur. Il n’était pas question de les forcer non plus. Nous avons indiqué des pistes.
Nous ne pouvons pas à la fois faire une exposition thématique ou formaliste, avec des partis pris très forts, et vouloir rendre compte de la totalité de la création artistique.
Comment montrer les « images en mouvement » ?
Il y a une dimension ludique dans l’exposition, même avec cette approche formaliste. Les visiteurs de l’exposition doivent être une partie du dispositif, ils sont comme les éléments d’un grand film qui se déroule. En se déplaçant dans les salles, on produit soi-même un effet de défilement et des effets de montages. Les relations entre les images changent. On peut revenir indéfiniment dans l’exposition et voir les relations entre les œuvres se modifier.
On n’est pas du tout au bout de l’expérimentation dans la manière de montrer les images en mouvement dans les musées. Et là, nous avons essayé d’indiquer quelques pistes. En ce sens la haute définition, la numérisation des supports… sont une vraie piste. C’est aussi un pari de maintenance technologique pour conserver des projections pendant dix mois.
S’agit-il d’une exposition réservée aux seuls spécialistes ?
Dans l’allée centrale, le cinéma vient renouer avec sa préhistoire, avec l’histoire du flâneur. Le visiteur de l’exposition doit se transformer en fiction, pour reprendre un exemple de Richard Serra.
Pour se promener dans l’accrochage, on n’a pas tellement besoin de repères historiques. Cela enrichit de les avoir mais on peut tout à fait percevoir les choses sans avoir de culture en histoire de l’art.
Informations pratiques « Le Mouvement des images » ouvrira ses portes jusqu’au début de l’année 2007, tous les jours sauf le mardi de 11 h à 22 h. Tarifs : 10 €/8 €. Le billet inclut la visite du Musée national d’art moderne et l’accès aux autres expositions le même jour. Musée national d’art moderne, Centre Georges Pompidou, Paris IVe, tél. 01 44 78 14 63, www.centrepompidou.fr
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Philippe-Alain Michaud : « Les films exposés rejoignent leur public »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°581 du 1 juin 2006, avec le titre suivant : Philippe-Alain Michaud : « Les films exposés rejoignent leur public »