Artiste emblématique de la Renaissance, sa notoriété pâtit à la fin de sa carrière d’une production trop répétitive. Pour les cinq cents ans de sa disparition, une exposition montre qu’il a été à l’origine du courant classique de la peinture italienne.
Pérouse (Italie). 2023 est l’année du Pérugin (vers 1450-1523). « Le meilleur maître d’Italie. Pérugin en son temps », la grande exposition consacrée au peintre mort il y a tout juste cinq siècles entend prouver l’influence fondamentale sur la peinture italienne exercée par Pietro di Cristoforo Vannucci dit Le Pérugin. Plus de 22 000 visiteurs se sont déjà pressés à la Galerie nationale d’Ombrie depuis l’ouverture et les longues files d’attente réjouissent les commissaires Marco Pierini, directeur de la Galerie nationale d’Ombrie, et Veruska Picchiarelli. De même que le comité national mis en place par le ministère de la Culture pour célébrer ce cinquième centenaire, privilège réservé aux plus grands noms de l’histoire de l’art italien. L’imposante couverture médiatique et la diffusion d’un documentaire sur la vie de l’artiste dans les salles de cinéma sont le signe de l’importance que le ministère souhaite donner à l’événement.
Le Pérugin, considéré par ses contemporains comme l’un des peintres les plus influents de la scène artistique de la Péninsule, ne jouit pourtant pas de la notoriété qu’il mérite. Celle de protagoniste de premier plan de la Renaissance italienne, au même titre que son maître Andrea del Verrochio (1435-1488). Il est probablement l’un de ses élèves à Florence, en compagnie de Léonard de Vinci, à la fin des années 1460. Mais c’est sur les décennies 1480-1490 jusqu’aux premières années du XVIe siècle que se concentre l’exposition. Elle rassemble soixante-dix œuvres environ dont la moitié de la main du Pérugin. Certains tableaux sont prêtés par les plus grands musées italiens et étrangers. Sept sections chronologiques permettent de suivre son évolution artistique de ses années de formation en Ombrie et en Toscane, jusqu’à sa maturité lorsque le pape Sixte IV l’appelle à Rome.
Des chefs-d’œuvre sont ainsi rassemblés : Le Combat de l’amour et de la chasteté (1503), le retable de Chigi (1506-1507) conservé dans l’église Sant’Agostino de Sienne ou encore Le Mariage de la Vierge (1500-1504, voir ill.) qui a inspiré une toile identique à Raphaël – l’un de ses plus brillants élèves –, appartenant au Musée des beaux-arts de Caen. Un prêt historique puisque c’est la seconde fois depuis sa confiscation en 1797 par les troupes du général Bonaparte que le tableau refranchit les Alpes et la toute première fois qu’il fait son retour à Pérouse. La section des portraits est l’une des plus belles avec notamment le portrait du Pérugin, qui se trouve habituellement aux Offices de Florence. L’attribution de cette huile sur bois oscillait entre les peintres Raphaël et Lorenzo di Credi. Il est désormais établi qu’il s’agit d’un autoportrait.
Si les madones et leurs différentes déclinaisons, malgré la finesse de leurs traits, peuvent lasser le visiteur le plus sensible à l’art sacré, la section consacrée à l’influence du Pérugin sur les artistes de son époque retient tout son intérêt. C’est en effet la principale justification de cette exposition : prouver que Pietro di Cristoforo Vannucci a profondément marqué l’art de son temps et de l’Italie du nord au sud, du Piémontais Macrino d’Alba au Vénitien Francesco Verla, jusqu’à Stefano Sparano et Cristoforo Faffeo, originaires de la région de Campanie. « Le Pérugin a été le premier depuis Giotto à être à l’origine d’un langage artistique national, précise Marco Pierini. Je voudrais que les visiteurs repartent avec la conscience d’avoir vu le parcours inattendu d’un peintre considéré comme répétitif, pris en tenaille entre les géants qui l’ont précédé et suivi, alors qu’il est un artiste d’une très grande qualité et original même, jusqu’à ce qu’il commence se répéter. » Un reproche que lui fera Giorgio Vasari et qui portera préjudice à sa notoriété auprès des historiens de l’art.
L’exposition s’achève avant la fin de la première décennie du XVIe siècle laissant ainsi dans l’ombre toute la production du Pérugin jusqu’à sa mort en 1523. Une production répétitive et monotone selon des commanditaires mineurs d’un artiste « survivant » d’une époque révolue qui peine à se réinventer. Elle n’en reste pas moins intéressante. Les commissaires ont préféré néanmoins faire l’impasse sur cette dernière période pour ne pas sacrifier des œuvres primordiales présentées dans le parcours. Ils auraient toutefois pu indiquer qu’il est possible d’observer certaines de ces toiles dans les collections permanentes de la Galerie nationale d’Ombrie qui vient de bénéficier d’un remarquable réaménagement de ses salles. « Nous aimerions que l’on reconnaisse que Le Pérugin a été à l’origine du courant classique de la peinture italienne, insiste Veruska Picchiarelli. Raphaël en est l’élément clef, mais c’est Le Pérugin qui en jette les bases. » La fin de sa vie ne doit pas faire oublier qu’il demeure, comme le note, en 1500, le banquier et commandiataire Agostino Chigi dans une lettre : « Perugino [...] è il meglio mastro d’Italia. » Le meilleur maître d’Italie.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°610 du 28 avril 2023, avec le titre suivant : À Pérouse, l’Italie veut redonner toute sa place au Pérugin