Art contemporain

Néo-expressionisme

Penck ou le signe des temps

Par Itzhak Goldberg · Le Journal des Arts

Le 24 mai 2017 - 638 mots

La rétrospective de Saint-Paul de Vence, la dernière organisée du vivant de l’artiste, prend des allures d’hommage posthume d’où surgit l’archaïsme contemporain qui caractérise son œuvre.

SAINT-PAUL-DE-VENCE - En toute logique, on trouve à l’exposition de Ralf Winkler, alias A.R.Penck disparu récemment le 2 mai 2017 (à l’âge de 76 ans) à Zurich, les travaux iconiques de cet artiste. Vers la fin des années 1960, Penck élabore un archétype primordial qu’il baptise Standart, pictogramme au graphisme rudimentaire, posé à l’encre noire sur une feuille blanche. Ce sont d’autres pans de la production plastique de l’artiste allemand, sculpture comprise, que permet de voir le choix d’œuvres effectué par Olivier Kaeppelin à la Fondation Maeght, près d’une décennie après la rétrospective du Musée d’art moderne.

L’homme, qui est l’un des représentants d’une génération d’artistes allemands, nés pendant et après la Seconde Guerre mondiale, a été formé et a vécu en République démocratique allemande jusqu’en 1980, date de son extradition à l’Ouest. Mais, à la différence de ses confrères, Georg Baselitz, Anselm Kiefer ou Markus Lüpertz, dont le trajet est proche du sien, Penck n’a semble-t-il pas été marqué par un sentiment de culpabilité face à l’histoire de son pays et au poids insupportable de ce passé récent. Encore que l’on se pose des questions face à la première toile présentée ici, Torture-Tribunal, scène effrayante, peinte en 1955 par Penck à l’âge de 16 ans.

De même, on hésite à inclure l’artiste dans la tendance qui se développe en Allemagne de l’Ouest à la fin des années 1960 et que l’on nomme le néo-expressionnisme. Pourtant, la tentation est grande quand on se rappelle que Penck est venu au monde à Dresde, la ville qui a vu la naissance de Die Brücke, le premier groupe expressionniste. Envie d’autant plus grande que l’artiste partage avec ses pairs une fascination pour le primitivisme, façon d’échapper aux normes culturelles en s’inspirant de l’art extra-occidental. Cependant, quand ces derniers, tout en revendiquant leur germanité, s’attaquent aux symboles glorieux de leur histoire, entachés pour toujours par la propagande nazie, la peinture de Penck semble hors du temps. Ou encore située dans la préhistoire, car les scènes qu’il représente à l’aide de formes schématisées à l’extrême font penser à l’art pariétal. Dans cet univers ancestral, les rencontres entre les hommes, les femmes et les animaux, réduits à des figures sombres, sont chargées d’une violence plus ou moins contenue (Dans la boue, 1969, Utilisation-Gaspillage, 1974).

Un langage ancestral
En réalité, davantage que primitivisme, c’est le terme d’archaïsme qui convient à ce mode d’expression. Archaïsme contemporain toutefois, car ces œuvres possèdent une ressemblance avec les graffitis des artistes qui s’attaquent à l’espace urbain et à son rythme frénétique : Jean-Michel Basquiat ou Keith Haring. D’autres tableaux de la Fondation Maeght renvoient encore à l’intérêt que porte Penck à des travaux inspirés par la cybernétique, relevant de sociétés techniquement développées. Ainsi, la toile au titre significatif, Modèle technique, 1970, est recouverte d’un bord à l’autre non plus par des formes anthropomorphiques riches d’une grande puissance d’évocation, mais par des signes géométriques indéterminés, comme dans un schéma informatique perverti. Ailleurs, ce sont les inscriptions non coordonnées, dispersées sur la surface, comme dans une tentative d’élaboration d’un langage plastique particularisé, en deçà d’une écriture linéaire : Tract (Possession du pouvoir), 1974. Ailleurs encore, des visages apparaissent : tantôt des autoportraits, Autoportrait analytique (Espace-Manipulateur), 1991, tantôt des portraits de groupe comme l’immense toile (250 x 350 cm) qui accueille le spectateur, Essen in Brown’s Hotel (1984). Dans un décor quelconque sont présentés les acteurs principaux de la scène artistique allemande avec Baselitz dans le rôle du saint patron. À l’image des « Cafés Deutschland » de son ami Jörg Immendorff, c’est une version contemporaine du tableau d’histoire. Les personnages déformés, les couleurs violentes et contrastées, les espaces éclatés, bref l’outrance du traitement fait dégager de cette toile, comme de l’ensemble de l’œuvre de Penck, une puissance inquiétante.

A. R. Penck
Jusqu’au 12 juin, Fondation Maeght, 06570 Saint-Paul-de-Vence.

Légende Photo
A.R. Penck, Standart, 1969, peinture à émulsion sur toile, 127,5 x 98,5 cm. Courtesy Galerie Michael Werner, Märkisch Wilmersdorf, Cologne & New York.

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°480 du 26 mai 2017, avec le titre suivant : Penck ou le signe des temps

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