Art contemporain

Peinture furtive, Strasbourg revient sur l’hyperréalisme américain

Par Olivier Michelon · Le Journal des Arts

Le 29 août 2003 - 807 mots

STRASBOURG

En s’adjoignant les services de l’historien de l’art Jean-Claude Lebensztejn, le Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg rouvre le chapitre de l’hyperréalisme. Aussi fulgurant que populaire, le mouvement qui s’est épanoui entre 1965 et 1975 est exposé dans tous ses paradoxes : simultanément avant-gardiste et kitsch, illusionniste et nourri d’abstraction, et surtout aussi divers que ses protagonistes, de Malcolm Morley à Richard Estes en passant par Ben Schonzeit.

STRASBOURG - En 1970, après avoir reproduit avec une précision maniaque une affiche publicitaire pour l’Afrique du Sud, Malcolm Morley l’a barrée d’une croix : un geste faussement expressionniste, puisque apposé après mûre réflexion à l’aide d’un transparent. Si elle est une mise en abyme en série, la peinture de Race Tracks n’a finalement aucune profondeur, elle est simplement une affaire de surface. Presque à mi-parcours de l’exposition “Hyperréalismes USA 1965-1975”, au Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, la toile de Morley synthétise nombre des tensions et non-dits d’un genre réellement ambigu, trop poli pour être honnête. Menée conjointement par l’historien de l’art Jean-Claude Lebensztejn et Patrick Javault, conservateur au musée, la manifestation a d’ailleurs à cœur de ralentir la cadence sur des œuvres dont les atours séduisants pousseraient à une consommation rapide. Organisée en une série de salles monographiques, l’exposition dit d’abord qu’il n’y a pas un seul “hyperréalisme” (terme qui, de toute façon, en cache une multitude d’autres comme “superréalisme” ou “photoréalisme”). Un brin hippie et mystique chez Joseph Raffael, qui a suivi l’enseignement de Josef Albers à Yale, ou descendant de la tradition réaliste américaine si l’on se réfère à Richard Estes, l’hyperréalisme n’existe évidemment pas sauf à convenir d’un faisceau dans lequel, à la fin des années 1960 – aux États-Unis mais aussi en Europe comme le rappelle brièvement la première salle d’exposition (Gerhard Richter, Gérard Gasiorowski, Franz Gertsch et Jean-Olivier Hucleux) –, la peinture s’assujettit à la photographie. Mise au carreau, report par projection... les techniques, souvent fastidieuses, se multiplient pour y parvenir. Mais celles-ci ne sont pas tant les marques d’un retour au métier qu’une évaluation manuelle de la reproduction mécanique menée par des peintres souvent marqués par l’abstraction. Lorsqu’il revient à la couleur en 1971, Chuck Close peint par couches en appliquant successivement du rouge (magenta), du bleu (cyan) et du jaune, tandis que Ben Schonzeit, dans ses immenses formats, ne jure que par l’aérographe. “Pour moi, les photos manquent foncièrement de netteté, explique ce dernier dans le catalogue publié pour l’occasion. Elles sont floues, du moins sur certaines parties. Et il est extrêmement difficile de peindre flou avec un pinceau.” Fidèle aux différents transferts de l’image, Schonzeit reprend les teintes jaunes et chaudes de la projection de diapositives (Sugar, 1972), tandis que Morley ne peint pas des scènes mais des reproductions, avec leurs marges ou les marques de quadri qui apparaissent nettement dans le Vermeer, Portrait of the Artist in his Studio (1968). Plus jeune d’une vingtaine d’années, David Kessler (né en 1950) choisit des photographies rognées par la fin de la pellicule (Jim, Weyman, Peter : End of Roll Vacation Slide,1976-1977).

Ni innocent, ni réactionnaire
En s’en “prenant à” ou “se prenant pour” la photographie, la peinture épuise un schéma bien établi. “Le caractère indiciel est devenu la tarte à la crème de la réflexion sur l’image, et l’hyperréalisme nous aide à déconstruire ce modèle, justifie Jean-Claude Lebensztejn dans son essai publié dans le catalogue. Ce qui rapproche les peintres hyperréalistes, qui travaillent d’après photo et dans un style photographique, des sculpteurs véristes qui procèdent par moulages fragmentaires, combinaison, soudure, polissage, peinture, greffes et habillage, c’est le décalque choquant qui ramène un indice à une icône et fait déraper la signifiance de l’image. La tradition classique qui voyait l’origine de la peinture dans le tracé du contour d’une ombre, assignait à l’icône un enracinement indiciel, mais l’art consistait dans leur séparation, dans l’éloignement de cette origine. Or, l’hyperréalisme reconduit l’art à une forme d’origine moderne, c’est-à-dire non originaire ; il crée une confusion entre des signes que la fonction de l’art avait été de séparer.” Faussement innocent donc, mais aussi faussement réactionnaire ? “On a pu voir dans l’hyperréalisme la plus violente agression menée contre un siècle de modernisme ; Alain et Odette Virmaux le décrivent comme une ‘réaction contre toutes les avant-gardes dévitalisantes’, rappelle Jean-Claude Lebensztejn. Pourtant, en 1972, Gerrit Henry, un critique favorable au réalisme, jugeait cet art antiréaliste, et y voyait le ‘rejeton plastique des arts conceptuels d’aujourd’hui’ ; six ans plus tard, le photo-réalisme apparaissait à Kim Levin comme ‘une autre manifestation de l’art post-minimaliste’”. Et aujourd’hui ?

HYPERRÉALISMES USA 1965-1975

Jusqu’au 5 octobre, Musée d’art moderne et contemporain, 1 place Hans-Jean-Arp, 67000 Strasbourg, tél. 03 88 23 31 31, tlj sauf lundi 11h-19h, jeudi 12h-22h, dimanche 10h-18h. Catalogue éditions Hazan/Musées de la ville de Strasbourg, 304 p., 150 ill., 54 euros. ISBN 2-85025-874-1

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Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°175 du 29 août 2003, avec le titre suivant : Peinture furtive

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