Pan méconnu de l’art italien à l’âge baroque, la peinture de genre connaît depuis quelques années un regain d’intérêt auquel Federico Zeri n’a pas été étranger. « De Caravage à Ceruti », à Brescia, est la dernière exposition à laquelle il a participé. Son co-commissaire, Francesco Porzio, explique comment cette peinture s’est développée et pourquoi elle n’a connu qu’un relatif succès.
BRESCIA (de notre correspondante) - Clochards et mendiants, gueux et vagabonds sont les protagonistes de la peinture de genre, qui a connu un certain engouement en Italie de la fin du XVIe au début du XVIIIe siècle.
Malgré ce succès, elle reste relativement inexplorée, victime de la hiérarchie des genres. L’exposition de Brescia propose donc une première exploration.
Ce courant pictural prend naissance au cours du XVIe siècle chez des peintres italiens et nordiques, comme Vincenzo Campi, Jacopo Bassano, Annibale Carrache et Joachim van Beuckelaer. Plus tard, à Rome, le Caravage crée le scandale avec sa Madone de Lorette, un tableau d’autel conservé en l’église Sant’Agostino : les pieds sales des pèlerins agenouillés devant la Vierge, juste sous les yeux des observateurs, choquent les commanditaires. Viennent ensuite ses disciples et les Bamboccianti, De Wael, Bolkman, Keilhau, Bellotti ou Matteo de’ pitocchi, que l’on suit région par région à travers toute l’Italie, jusqu’au XVIIIe siècle. À cette époque, à la description grotesque de ce monde de déshérités se substitue une plus grande compassion, dont Giacomo Ceruti sera l’interprète le plus éloquent. Milanais de naissance mais brescian d’adoption, Ceruti, qui sera justement appelé Il Pitocchetto (le faiseur de gueux), est représenté ici par le célèbre cycle de Padernello, exposé pour la première fois dans son intégralité.
Conçue par Francesco Porzio, avec la collaboration de Federico Zeri, cette exposition est donc l’ultime témoignage de l’engagement du grand spécialiste qu’était Zeri dans la relecture de secteurs marginaux, écartés de l’histoire de l’art italien.
Francesco Porzio, quelles sont les villes et les régions où la tradition de la peinture de genre a eu le plus de succès ?
Même si, en Italie, la peinture de genre n’a pas connu un essor comparable à celui de la Hollande, le panorama qu’offre l’exposition est incroyablement riche et brillant, certaines œuvres étant d’un niveau exceptionnel. Les villes les plus importantes, pour la qualité et la quantité des peintures, sont certainement Rome et la région de Vénitie-Lombardie, mais aux XVIIe et XVIIIe siècles, dans presque tous les principaux centres artistiques, on enregistre une demande ou tout au moins une circulation non négligeable de scènes de genre. Dans certains cas, comme en Piémont et en Ligurie, cette production s’est concentrée sur des ateliers qui déploient une grande activité décorative. Dans d’autres, comme à Naples et à Bologne, cela tourne autour de quelques personnalités plus importantes. Le cas de Florence est encore différent, puisque l’on n’y trouve aucune production locale mais qu’elle tient, au début du XVIIIe, un rôle essentiel dans la promotion et la collection de ce type de peinture.
Quelles ont été les raisons de son succès durant les deux siècles, à peu près, où elle s’est développée ?
Il s’agit d’un succès relatif, puisqu’en Italie, la peinture religieuse et historique a continué à dominer. La peinture de genre s’affirme d’abord en tant que divertissement aristocratique, à fortes connotations satiriques et moralistes. Elle naît d’un mépris fondamental pour les classes subalternes et garde pendant longtemps ce caractère, qui se mêle cependant de manière ambiguë à une attirance snob pour l’”exotisme” et le “différent”. Elle ne révèle que rarement un intérêt pour une problématique sociale et demeure souvent un acte décoratif. En un mot, il est impossible de la lire en l’actualisant, comme s’il s’agissait de la peinture “sociale” du XIXe siècle.
Les recherches menées pour cette exposition ont-elles apporté de nouvelles attributions ou d’autres découvertes ?
L’exposition n’a pas été conçue dans une optique philologique ni d’attribution, mais en touchant à ce secteur peu exploré, il en est en effet ressorti quelques éléments nouveaux. Dans la région lombarde commence à émerger la figure de Sebastianone, et survient alors un anonyme de grande qualité qui peut avoir représenté un précédent essentiel pour Ceruti. Parmi les tableaux inédits se trouve aussi un chef-d’œuvre de Todeschini aux dimensions inhabituelles, qui n’a jamais été exposé.
Sa contribution à cette exposition a été l’ultime travail de Federico Zeri avant sa disparition. Où son empreinte est-elle la plus évidente ?
Sa marque est dans l’adhésion à un thème que de nombreux spécialistes considèrent à tort comme secondaire et qui, au contraire, avec toutes ses limites historiques, est à la base du réalisme moderne. Zeri a accueilli mon idée avec un enthousiasme étonnant, et nous avons parlé dès le début de l’organisation de l’exposition. Il a toujours insisté sur une ligne directrice ouverte, européenne, que nous n’avons hélas pu tenir que dans certains cas, puisque les prêts étrangers les plus importants nous ont été refusés. Du reste, de cette façon, l’exposition a pris une physionomie peut-être moins provocatrice mais, tout compte fait, plus cohérente.
Jusqu’au 28 février, monastère de Santa Giulia, 4 via Pomarta, Brescia, tlj 9h-12h30 et 15h-17h, samedi et dimanche 15h-18h.
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Peinture de mauvais genre
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°74 du 8 janvier 1999, avec le titre suivant : Peinture de mauvais genre