Inconnue en France, l’artiste allemande que l’on peut difficilement rattacher à une école, est présentée au Musée d’art moderne de la Ville de Paris sous l’angle de ses rapports avec la France.
PARIS - Montrer Paula Modersohn-Becker (1876-1907)en France relève d’un véritable exploit. Non seulement l’artiste allemande est méconnue du grand public, mais en plus on ne trouve aucune de ses œuvres dans les collections françaises. C’est dire les efforts déployés par la commissaire de l’exposition du Musée d’art moderne de la Ville de Paris, Julia Garimorth, conjugués à la volonté de Fabrice Hergott de faire découvrir l’art allemand dans notre pays, afin que soient réunies toutes les toiles présentées ici. Le projet initial de reprendre la version de la manifestation réalisée par le Musée Louisiana à Copenhague n’a pas abouti, car selon Julia Garimorth, il s’agissait d’une vision « nordique » de Paula Modersohn-Becker, tandis que la version parisienne met l’accent sur ses séjours dans la capitale française et l’impact des artistes qu’elle a pu y voir ou fréquenter.
On peut comprendre pourquoi cette production picturale est peu visible. De fait, l’artiste semble n’appartenir à aucun groupe ayant reçu « l’appellation contrôlée de l’histoire l’art ». Parfois associée à Die Brücke, elle ne partage pas les émotions exacerbées ou la protestation expressionnistes. Il n’y a rien dans ses travaux d’une confession personnelle ou d’une démonstration explicite de sentiments intimes.
Une femme moderne
Question de caractère sans doute, mais également de contexte dans lequel Paula Modersohn-Becker évolue. Elle devient artiste dans l’Allemagne wilhelmienne, où pèsent dans tous les domaines autoritarisme et conformisme, et où la création étouffe sous des structures rigides et une stricte censure. Situation plus difficile encore pour une jeune femme – les femmes n’étant alors pas admises dans les écoles d’art en Allemagne – dont les parents ne conçoivent pas le destin en dehors du rôle d’épouse et de mère. Faut-il croire que la retenue qui caractérise l’œuvre de Paula Modersohn-Becker soit le prix à payer pour être admise dans les cercles artistiques ?
Quoi qu’il en soit, l’artiste échappe à l’emprise familiale en s’installant en 1898 à Worpswede (au nord de Brême), où elle participe à une de ces colonies rurales d’artistes de l’Allemagne d’alors, solidement établie. Elle suit les cours de peinture de Fritz Mackensen et fait la connaissance de son futur mari, Otto Modersohn. C’est aussi à cette période qu’elle réalise quelques beaux paysages – sur lesquels s’ouvre l’exposition – des vues aux couleurs en demi-ton, qui permettent à peine de distinguer les composants simplifiés à l’extrême (Lune au-dessus d’un paysage, 1900). Rapidement, toutefois, elle se sent à l’étroit avec ses compagnons qui jugent avec sévérité son traitement pictural qui rejette la profondeur. Mais, surtout, elle est attirée par Paris, le centre des avant-gardes, comme par un aimant. Arrivée symboliquement pour la première fois dans la capitale le 31 décembre 1899, elle entre de plain-pied dans le nouveau monde. Si Paula Modersohn-Becker voue alors un culte à Cézanne, elle s’intéresse à tous les avant-gardes de l’époque – les Nabis, Van Gogh, Puvis de Chavannes, Georges Seurat – et rencontre Rodin par l’intermédiaire de Rilke. En même temps elle fréquente le Louvre, où elle reviendra trois années plus tard, fascinée par l’Antiquité.
Portraits mystiques
Certes, l’intérêt pour les cultures anciennes est partagé par la quasi-totalité des acteurs de la modernité. Cependant, dans le cas de l’artiste allemande, plus que de primitivisme, c’est d’archaïsme qu’il faudrait parler. De fait, dans ses œuvres aux thèmes limités – portraits d’enfants et de vieillards, autoportraits, maternités –, la sobriété de la composition qui rejette tout artifice, tout comme la position frontale des personnages au regard insaisissable dégagent une impression de hiératisme intemporel. Ce n’est pas une simple coïncidence si l’artiste s’intéresse aux portraits du Fayoum, peints à l’encaustique – elle emploie une autre technique ancienne, la détrempe – et placés dans des sarcophages. Comme ces derniers, les visages de l’artiste sont vigoureusement charpentés, comme géométrisés. On se rappelle la belle hypothèse formulée par l’historien d’art britannique, John Berger, selon laquelle la puissance des portraits du Fayoum serait due au fait qu’ils ont été conçus pour n’être vus par personne. D’où l’expression inhabituelle de ces visages qui, en l’absence du spectateur, ne cherchent aucun dialogue et semblent indifférents à toute contingence, comme venus d’un autre rivage. Les portraits et surtout les autoportraits de Paula Modersohn-Becker, qui refusent tout effet de séduction, héritent de la même apparence (Autoportrait au collier d’ambre, 1905).
Il en va de même pour les scènes de maternité, où le corps nu de la femme, lourd, monumental, ne cherche ni l’érotisme, ni l’émotion un peu mièvre habituelle, mais tout simplement une présence. En somme, les images qu’on voit n’offrent pas de plaisir immédiat ou une jouissance facile. Comme chez Cézanne, il faut du temps pour y accéder, mais lorsqu’elles s’installent en nous, c’est définitif.
Commissaire : Julia Garimorth
Œuvres : 80
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Paula Modersohn-Becker sort de l’ombre
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Abonnez-vous dès 1 €Jusqu’au 21 août, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11 av. du Président Wilson, 75116 Paris, tél : 01 53 67 40 00, www.mnam.paris.fr, mardi-dimanche 10h-18h, le jeudi jusqu’à 22h, entrée 10 €. Catalogue éd. Paris Musées, 256 pages, 35 €.
Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°456 du 29 avril 2016, avec le titre suivant : Paula Modersohn-Becker sort de l’ombre