Aéroports de Roissy ou de Jakarta, station de Courchevel, Opéra de Pékin... La Cité de l’architecture met à l’honneur les réalisations de cet ingénieur et architecte surdoué.
Nombreux sont les Français à avoir emprunté, un jour ou l’autre, les escalators du terminal 1 de Roissy, mais rares sont ceux qui pourraient en citer l’auteur. Car Paul Andreu (1938-2018) est sans doute plus connu en Chine, où il a abondamment construit, que dans son pays natal : l’exposition que lui consacre la Cité de l’architecture devrait corriger cette injustice. Élevé à Bordeaux dans une famille d’enseignants, le jeune Andreu se forme à la fois comme architecte et ingénieur. Étudiant brillant, il est reçu à Polytechnique et à Normale sup, et se décide pour la première. En parallèle de l’école des Ponts et Chaussées, son école d’application de l’X, il s’inscrit aux Beaux-Arts de Paris, qui préparait alors à l’architecture. Avant même la fin de ses études, le jeune homme occupe son premier poste d’ingénieur pour des travaux de construction à Orly. Et quand on lui confie la conception du terminal 1 de Paris-Nord, en 1967 – aujourd’hui Roissy-Charles de Gaulle –, il n’a pas encore trente ans, et aucune expérience.« La plupart de ses projets évoquent la notion d’envol, de traversée, le lien entre la terre et le ciel », résume Stéphanie Quantin-Biancalani, commissaire de la rétrospective à la Cité de l’architecture. Ses bâtiments sont conçus comme une succession de séquences dans l’espace à travers un jeu sur les volumes, leur hauteur, le rapport au corps, la lumière. Une architecture du passage en quelque sorte. Tout le parcours du voyageur à l’intérieur de l’aérogare Roissy est guidé par sa mise en condition vers le décollage, comme une préparation psychologique. La traversée par les tubes du vide central, seul endroit où l’on voit le ciel, donne accès au niveau des transferts, qui emmène vers les galeries souterraines rejoignant les satellites, largement vitrés et ouverts sur les pistes, ultime prologue à l’envol.
Plusieurs de ses projets illustrent cette notion de seuil, tel le tunnel sous la mer du Musée maritime d’Osaka (inauguré en 2000), au Japon, qui débouche sur la salle centrale, un dôme inondé de lumière et entièrement transparent. Pour pénétrer dans l’Opéra de Pékin (2007), le spectateur doit d’abord traverser un miroir d’eau, puis emprunter des escaliers mécaniques. Fervent partisan d’une architecture envisagée comme un art, Paul Andreu met en pratique une synthèse des différentes disciplines. Pour l’aménagement intérieur de Roissy, un groupe de travail réunit ses proches collaborateurs architectes, le designer Joseph-André Motte, qui avait déjà travaillé sur le mobilier d’Orly, le coloriste-conseil Jacques Fillacier, le sculpteur Volti, le graphiste Adrian Frutiger et le sociologue Pierre Patarin. Inspirée par une réflexion sur la pyschologie du voyageur – qui peut générer un état d’anxiété et un sentiment de transformation de soi – l’équipe imagine un code couleur pour cette mise en condition du passager. L’orange des sièges symbolise la notion de repos, le jaune des signalisations renvoie à la fonction d’information, le vert désigne le mobilier urbain et les services, tandis que le bleu signale les parkings. L’alphabet dessiné par Adrian Frutiger participe de cet effort de lisibilité : ces lettres larges et espacées peuvent se lire même quand le voyageur est en mouvement. À travers la carrière de Paul Andreu, c’est tout un pan de l’histoire économique et politique de la France qui se dessine. L’époque est alors à la croissance, à la foi dans le progrès – les fameuses « trente glorieuses ». Le développement de l’aviation reflète l’essor du tourisme de masse et de la globalisation, en faisant des aéroports les portes internationales des villes. Andreu est sollicité par Claude Parent pour exercer dans le domaine du nucléaire, avec la construction de la centrale de Cruas (1975-1985). On lui doit aussi le tremplin à ski du domaine de Courchevel pour les Jeux olympiques de 1992, ou encore le terminal français du tunnel sous la Manche. À la suite du décès de l’architecte de la Grande Arche de la Défense, Johan Otto von Spreckelsen, en 1987, Andreu est sollicité pour terminer le chantier. L’arche est inaugurée par François Mitterrand, le 14 juillet 1989, l’année du bicentenaire de la révolution française.
Mais surtout, son poste au sein d’Aéroports de Paris va lui ouvrir les portes de l’étranger. Dans le paysage industriel français, l’entreprise avait alors une position singulière, celle d’une société publique réunissant cabinet d’architecture et bureau d’études, qui compte jusqu’à 300 collaborateurs. Entré dans l’entreprise en 1963, Andreu va signer, pendant près de quarante ans, une cinquantaine d’aéroports dont la moitié à l’étranger. Après le premier choc pétrolier, Aéroports de Paris s’oriente en effet vers le marché international, proposant son expertise aux pays du sud. Le premier chantier sera celui d’Abu Dhabi (1975-1982), suivi de celui de Soekarno-Hatta, à Jakarta (1977-1985), et Dar es Salam en Tanzanie (1977-1984). Si le premier projet évoque l’univers de la caverne, le Français s’inspire, en Indonésie, de l’architecture vernaculaire, avec un village composé de pavillons bas, reliés entre eux par des galeries, au milieu de jardins richement plantés. En Tanzanie, Andreu développe le thème de la forêt : dans le grand hall d’accueil, les alignements de poteaux en béton armé expriment les origines naturelles de l’architecture. En 1988, il remporte le concours international pour l’aéroport du Kansai, au Japon : une victoire symbolique importante, compte tenu du protectionnisme à l’œuvre dans le pays. « La pensée japonaise a été très importante dans sa réflexion, en ce qui concerne notamment le concept du Ma, autour de la notion d’espace vide, de rapprochement des contraires » relève Stéphanie Quantin. Inauguré en 2000, le Musée maritime d’Osaka, une demi-sphère de verre et métal posée à la limite du ciel et de l’eau, symbolise l’abandon de l’architecture aux éléments. Avec ses projets en Corée et Chine, Andreu fait figure de précurseur, s’imposant en Asie bien avant Jean Nouvel ou Christian de Portzamparc. L’Opéra de Pékin (1999-2007) représente la consécration de sa carrière internationale et son départ d’Aéroports de Paris. Là aussi, le contrat est hautement symbolique, puisqu’il est l’un des premiers occidentaux à remporter un chantier d’État, quelques années avant que Rem Koolhaas n’obtienne le siège de la télévision centrale chinoise, ou qu’Herzog et de Meuron ne remportent le stade olympique de Pékin. En dépit des honneurs – il est élu à l’Académie des beaux-arts en 1996 – Andreu sera fortement meurtri par l’effondrement du terminal 2 à Roissy, en 2004, qui provoqua quatre morts et sept blessés. À l’issue du procès en 2018, ADP et trois de ses sous-traitants furent condamnés à des peines amendes, le groupe aéroportuaire écopant de la peine maximale de 225 000 euros. L’architecte, lui, était mort quelques mois plus tôt.
Une double donation – 69 carnets de croquis et les archives de Paul Andreu – constitue le point de départ de l’exposition organisée à Cité de l’architecture. Riche de 290 oeuvres, cette rétrospective se déploie sur 400 m2. L’intégralité des carnets de dessins, présentée sur une vitrine à la manière d’un long récit graphique, constitue la colonne vertébrale et dialogue avec un ensemble de maquettes sphériques issues de collections publiques et privées. Huit sections thématiques (Roissy 1, la synthèse des arts, le paysage, le Japon...) proposent de découvrir plus précisément les réalisations d’Andreu.
« Paul Andreu. L’architecture est un art »,
Cité de l’architecture, 45 avenue du Président Wilson, Paris-16, du 14 février au 2 juin 2024.
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Paul Andreu, l’air des trente glorieuses
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°772 du 1 février 2024, avec le titre suivant : Paul Andreu, l’air des trente glorieuses