Pari audacieux, la 5e Biennale de Lyon regroupe plus d’une centaine d’artistes des cinq continents autour d’un parcours conçu en collaboration avec des ethnologues. Quelques œuvres répondent parfaitement à la problématique du « Partage d’exotismes » posée par la manifestation, mais le manque de confrontations et l’absence d’une articulation satisfaisante desservent un projet prometteur, mais aujourd’hui sans surprises.
LYON - Il faudrait arriver à faire abstraction de l’attente suscitée par la 5e Biennale de Lyon avant de pénétrer dans la Halle Tony Garnier, tant le sujet et la conduite de “Partage d’exotismes” avaient suscité d’enthousiasme pour ne pas décevoir au final. Séduisant par la qualité des textes du catalogue, le recours à l’anthropologie afin d’envisager d’une manière commune arts contemporains occidentaux et non-occidentaux ne franchit malheureusement pas l’épreuve de l’exposition, tant les réelles possibilités de confrontation entre les œuvres sont rares. Seuls rescapés de l’aventure, les regroupements thématiques (“nourrir”, “cloner”, “voyager”...) sont souvent trop génériques pour être vraiment pertinents : que dire d’“aimer”, qui englobe généreusement Hiropon, héroïne à forte poitrine du Japonais Takashi Murakami et les photographies panoramiques officielles du chinois Zhuang Hui ? L’écueil d’une vision par trop impérative est toutefois évité par l’usage d’“objets-totems” pour introduire les chapitres et en multiplier les lectures. Archétype illusoire d’un masque africain, le loup à grillage qui inaugure la catégorie “masquer” se révèle être un masque à gaz de tankiste anglais de la Première Guerre mondiale. Hélas, de telles confusions ne sont pas nombreuses, malgré la volonté affichée par la Biennale de mettre à jour la circulation des signes dans la production artistique mondiale. Toiles criardes de Di Rosa, réalisées selon des techniques “étrangères”, abominables photomontages d’humains greffés de plumes et de poils d’Aspassio Haronitaki ou amusant Bart Simpson inca de Nadin Ospina, on traite d’échanges, de métissages, de dialogues mais aussi d’emprunts ou d’éclectisme géographique, parfois avec un goût de l’artisanat “world” déconcertant – les sculptures en feuilles de Serge Goudin-Thébia, ou le pastiche africain d’un Gainsborough par Yinka Shonibare ! De ces clichés, Barthélémy Toguo, témoin et partie prenante des flux migratoires, se joue aisément dans Transit, mêlant à la sculpture en bois d’un charter chevènementiste siglé “Air Mamadou”, caisses de bananes et toilettes pour une “Suisse propre” et raciste, elles aussi taillées à la main.
“Le grand changement qui marque cette fin de siècle est la possibilité pour chaque artiste du monde entier que son inspiration soit religieuse, magique ou pas, de se faire connaître en accord avec les codes et les références de sa propre culture”, estime Jean-Hubert Martin, commissaire de l’exposition, dans le catalogue. Plaçant tout le monde à la même enseigne, la prédominance du regard ethnologique dans le parcours rend compte de cette égalité.
Un manque de repères
Reste à transmettre au visiteur les repères suffisants. Le manque d’informations et de connaissances pour appréhender la diversité culturelle des pièces est criant. Échappent à cette lacune des œuvres à visée essentiellement documentaire, telle que Bavarois par alliance, le reportage photographique d’Andrea Robbins et Max Becher sur un village américain transformé en paradis de la bière et de la choucroute pour assurer son développement touristique. Au milieu de la scénographie légère (sac de sables, voilages bleus, étais visibles) mais encombrante de Patrick Bouchain, quelque 150 œuvres s’enfilent alors comme des perles. Quelques exceptions soulignent pourtant les possibilités offertes par les rapprochements visuels entre les œuvres et les civilisations : mini-golf des conflits mondiaux, Nation Unies-Miniature de Thomas Hirschhorn, trouve une échappée à son enfermement dans la démagogie par son voisinage formel avec Ngurrara Canvas, peinture au sol exprimant les revendications territoriales de la population aborigène. Les pièces conçues par Claude Rutault, Cai Guo Qiang, Pascal Convert, Soo-Ja Kim, ou encore Michel Aubry attirent également une attention plus soutenue, mais appartiennent à des œuvres déjà largement connues sous nos tropiques.
- PARTAGE D’EXOTISMES, 5e Biennale de Lyon, jusqu’au 24 septembre, Halle Tony Garnier, 20 place Antonin-Perrin, 69007 Lyon, tlj sauf lundi, 12h-19h, vendredi, 12h-22h, tél. 04 72 76 85 70, www.biennale-de-lyon.org, catalogue, édition RMN, deux volumes de 230 p., 160 F, ISBN 2-7118-4013-1
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Partage sans surprises
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans Le Journal des Arts n°109 du 25 août 2000, avec le titre suivant : Partage sans surprises