Par courtesy

Par Bénédicte Ramade · L'ŒIL

Le 1 avril 2004 - 785 mots

Pas d’hésitation possible. Il s’agit des fameuses silhouettes des ambassadeurs, ceux de François Ier missionnés à la cour d’Angleterre dans les années 1530 et peints par Hans Holbein le Jeune. De l’imposant panneau de bois d’un peu plus de 4 m2 et conservé à la National Gallery de Londres, il reste le matériau et la superficie. De l’image, on reconnaît sans faillir les silhouettes réalisées en marqueterie premier degré (de l’aggloméré pour tout dire), le tout signé… Bruno Peinado. Il commet également une triple expansion « à la César » aux teintes pop plus réjouissantes qui font oublier les prétentions du maître invoqué, venues étouffer au fil des années ses brillantes élucubrations. Ainsi les jeunes n’auraient-ils pas tout oublié, ni renié leur passé ? Mais ils ne sont pas les seuls, comme en témoigne Bertrand Lavier, la cinquantaine, réalisant sans sourciller pour l’exposition « Playlist », un magnifique Stella en néon bleuté, tiré d’une peinture métallique aux contours aiguisés Ifafa 1, réalisée par l’Américain en 1964. Aucun problème d’identification pour Jonathan Monk qui revendique son appropriation de Sol LeWitt pour sa vidéo, pour John Armleder qui exécute une gigantesque toile « à
la Larry Poons » ou Sam Durant, largement influencé, inspiré voire hypnotisé par la force des sculptures miroitantes et végétales de Robert Smithson de la fin des années 1960. Pour cette petite poignée d’artistes, nul doute que le propos de « Playlist » – rassembler des créateurs qui ont fait de la culture un matériau comme un autre –, fait mouche, convainc imparablement de la justesse de son postulat. L’artiste d’aujourd’hui brasse, mixe, sample les sons comme les références. Ceux que nous voyons le font de manière évidente, assumée, sincère et intelligente. D’autres semblent davantage tâtonner et parfois tomber dans le piège du courtesy facile. On peut offrir en pâture ses influences sous la forme d’un salmigondis qui peut s’avérer pathétique ou charmant selon l’avancement de l’artiste dans sa recherche. Dans le cas de Pauline Fondevila, qui expose sans nuances son paysage culturel sous forme de collages de dessins, c’est assez réussi. Mais cela peut virer à l’ex-voto prétentieux avec Carol Bove, dispersant sur une étagère, des reliques vintage des années 1960 et 1970, deux décennies décidément stigmatisées par un certain nombre de pièces exposées. Et l’artiste peut aussi totalement s’approprier l’art et la culture jusqu’à l’opportunisme le moins fécond. Depuis longtemps, l’art et ses productions s’adonnent au jeu des emprunts, et construire la généalogie d’une posture ou d’une composition est l’un des plaisirs des historiens d’art. Le jeu des influences est sain, les copies réalisées par les grands peintres durant leur formation sont d’ailleurs exposées avec la même révérence dans les musées. Alors où est le problème ? Dans l’honnêteté de l’entreprise. Si la plupart des artistes de « Playlist » se plongent dans leur culture avec délice et intelligence, d’autres le font par fainéantise, incompétence intellectuelle ou vanité. Et n’en déplaise au commissaire qui assure que ses choix ne tombent pas dans le travers de la citation, un petit nombre d’entre eux se fourvoie tout de même dans le name dropping.
En lieu d’appropriation, Nicolas Bourriaud avance la notion de collectivisme culturel et en appelle aussi à des métaphores telluriques : « L’art de la post-production, dans le cadre général de cette culture de l’usage que cette exposition tente de mettre à jour, relève de cette notion de réplique : l’œuvre d’art est un événement qui constitue la “réplique” d’une autre ou d’un objet préexistant ; éloignée dans le temps de “l’original” auquel elle est liée, cette œuvre appartient toutefois à la même chaîne d’événements. » Soit, mais la mise en scène de Nicolas Bourriaud n’égale pas sa démonstration écrite. Le propos est peut-être trop théorique et manque d’empirisme, c’est un des défauts du codirecteur du Palais de Tokyo qui avait tout autant peiné avec GNS, exposition à l’assise brillante mais à la mise en espace plus discutée. Dans le cas présent, c’est Éric Mangion dans un texte du catalogue, qui arrange le mieux l’exposition, lorsqu’il s’emploie à diagnostiquer la compilation, la reprise, le remix et la playlist, du manque d’inspiration à la nostalgie, de l’index à la liste idéale. Visuellement, l’exposition « Playlist » claque, exploitant pleinement l’espace curviligne du Palais. Elle déploie des œuvres imposantes, excellentes comme celles de Sam Durant et du duo Clegg & Guttmann, ou superflues comme celle de Saâdane Afif.
Si « Playlist », malgré une programmation vidéo irréprochable et d’indéniables qualités plastiques, peine à se hisser à la hauteur du manifeste écrit, il ne fait aucun doute que cet opus marquera l’année 2004.

« Playlist », PARIS, Palais de Tokyo, 13 av. du Président Wilson, XVIe, tél. 01 47 23 38 86, jusqu’au 25 avril.

Cet article a été publié dans L'ŒIL n°557 du 1 avril 2004, avec le titre suivant : Par courtesy

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