Maître de la majolique, nom donné à la faïence italienne, l’artiste italien s’est inspiré d’un thème des « Métamorphoses » d’Ovide pour réaliser ce magnifique plat qui a appartenu à Isabelle d’Este.
Originaire de Casteldurante, dans les Marches, Nicola di Gabriele Sbraga (vers 1480-1538), dit Nicola da Urbino, du nom de la ville où il fut actif entre 1520 et 1537-1538, est considéré comme l’un des plus grands peintres de la majolique du XVIe siècle. Ce n’est qu’en 1980, grâce à la découverte de documents d’archives, que l’identité de l’artiste signant ses œuvres « Nicola da Urbino » a pu être mise en relation avec Nicola di Gabriele Sbraga, jusqu’alors confondu avec Nicola Pellipario. Il existe en effet très peu d’informations sur sa vie. Il est enregistré à Urbino, en 1520, comme le patron d’un atelier et se fait appeler maestro. Il est assurément le maître incontesté d’un genre décoratif né à Faenza, l’istoriato, c’est-à-dire la majolique illustrée de scènes figurées, qu’il porte à son plus haut niveau dans les années 1520. Son art se distingue par une minutie infaillible, un dessin puissant, une palette délicate et froide, et une parfaite connaissance des effets de glaçure pour faire briller la couleur.
Le « Raphaël » de la majolique
Le plat intitulé Histoire d’Orphée et d’Eurydice provient d’un ensemble ayant appartenu à Isabelle d’Este (1474-1539), marquise de Mantoue. En 2007, le musée du Louvre reçoit par dation deux pièces du service en majolique de cette grande mécène de la Renaissance, le plat se rapportant à Orphée et Eurydice et une coupe sur pied bas décorée du Festin de Didon et d’Énée. Avec l’assiette représentant Abimélech épiant Isaac et Rébecca, acquise en 1922 grâce au legs de la baronne Salomon de Rothschild, le Louvre réunit désormais trois pièces sur les vingt-deux connues à ce jour, conservées en main privée ou dans des collections publiques étrangères. On ignore combien d’éléments regroupait à l’origine ce prestigieux service, illustrant un programme iconographique complexe et révélant une maîtrise incomparable du dessin et de la couleur. Les compositions équilibrées s’inspirent des plus grands artistes de l’époque, dont Raphaël, natif d’Urbino, et auquel Nicola da Urbino était comparé. Il était considéré effectivement comme le « Raphaël » de la majolique. Le plat Histoire d’Orphée et d’Eurydice ainsi que les autres pièces merveilleuses du service, aux coloris somptueux et aux dessins harmonieux, ne devaient probablement pas être voués à un usage utilitaire. Il semble qu’il s’agissait plutôt de pièces d’apparat ou de « montre » destinées à orner les buffets ou les crédences dressées à l’occasion des banquets.
La majolique : De Majorque à Faenza
Majolique est le nom donné à la faïence italienne de la Renaissance. Elle est ainsi désignée car sa production aurait été stimulée par l’importation de céramiques hispano-mauresques venant de Valence et transitant par l’île de Majorque. Dès la seconde moitié du XVe siècle, la technique de la majolique est maîtrisée par les Italiens qui ouvrent des ateliers à Faenza – d’où le mot faïence –, mais aussi à Urbino, Casteldurante, Deruta, etc. La majolique est une argile recouverte d’émail stannifère qui lui donne une couleur blanche. Les potiers italiens mettent à profit l’émail blanc de la faïence pour peindre de véritables tableaux en miniature. Dès le début du XVIe siècle, apparaissent les figures humaines qui supplantent peu à peu les motifs stylisés de la majolique archaïque du haut Moyen Âge. Les couleurs utilisées sont réalisées à partir d’oxydes métalliques qui, après la cuisson, confèrent à l’objet ses belles teintes. Le bleu est obtenu à partir du cobalt ; le vert, à partir du cuivre ; le jaune et l’orangé, à partir de l’antimoine... La majolique d’Urbino devient, au XVIe siècle, une des plus réputées de l’Italie, c’est là que se perfectionne le décor a istoriato.
Les sources : L’emprunt fait à la gravure
Les sources auxquelles Nicola da Urbino se réfère témoignent de l’engouement pour les textes littéraires, mis en valeur par les artistes et les humanistes de la seconde moitié du XVe siècle. Les peintres de majoliques s’emparent des thèmes iconographiques en s’appuyant sur les sources contemporaines. Ils n’inventent pas leurs sujets, mais copient en effet des œuvres gravées. Le développement de la majolique est donc lié à l’essor européen de la gravure. Les décors historiés, dont les sujets sont empruntés à la mythologie, à l’histoire religieuse ou romaine, sont tirés de textes en vogue comme Le Songe de Poliphile (1499) de Francesco Colonna ou Les Métamorphoses d’Ovide, publiées à Venise en 1497, dont les modèles sont issus de gravures. Le plat Histoire d’Orphée et d’Eurydice s’inspire d’une gravure sur bois illustrant Les Métamorphoses. L’ouvrage est la principale source iconographique du service d’Isabelle d’Este, puisque quatorze des vingt-deux pièces connues s’y réfèrent.
Le commanditaire : Le mécènat d’Isabelle d’Este
Le service porte les armoiries d’Isabelle d’Este-Gonzague, marquise de Mantoue par son mariage avec François II de Gonzague. Fille d’Hercule d’Este, duc de Ferrare, et d’Éléonore de Naples, fille du roi de Naples, elle reçoit une éducation humaniste et devient une grande mécène. Sur le plat figurent au centre les armes des Este et des Gonzague, soutenues par deux putti. En outre, divers emblèmes rattachés à Isabelle d’Este apparaissent, comme le chiffre romain XXVII, l’alpha et l’oméga et le monogramme Y S, entrelacé à l’intérieur d’un cercle. Les circonstances de la commande nous sont connues grâce à la découverte récente de documents d’archives. Dans une lettre du 15 novembre 1524, la fille d’Isabelle, Éléonore d’Este, duchesse d’Urbino, annonce à sa mère l’envoi d’un service en terre. Il est donc possible que le voyage de la marquise l’année suivante soit lié à la livraison de la commande. Ce prestigieux service à ses armes, réalisé vers 1524-1525, illustre le rôle primordial de la majolique dans les palais princiers, ainsi que le goût pour l’Antiquité des grands mécènes et humanistes de la Renaissance italienne.
Iconographie : Les Métamorphoses d’Ovide
L’Histoire d’Orphée et d’Eurydice, peinte par Nicola da Urbino, est tirée du livre X (1-85) des Métamorphoses d’Ovide. Orphée, fils d’Œagre, roi de Thrace, et de la muse Calliope, est un poète et un musicien merveilleux, capable, selon la légende, de calmer les hommes et les animaux par le son mélodieux de sa voix et de son instrument. Éperdument amoureux de la nymphe Eurydice, il l’épouse, mais leur joie est de courte durée. La noce à peine achevée, Eurydice, marchant avec ses demoiselles d’honneur, les naïades, dans une prairie, se fait mordre au pied par une vipère et meurt. Cette partie du récit est représentée sur le plat à gauche et au premier plan à droite. Nous voyons le temple dans lequel les protagonistes se sont unis, puis Eurydice se faisant piquer par le serpent. Orphée, accablé de douleur, décide de descendre aux Enfers pour la ramener sur terre. Il traverse le Styx en jouant de la lyre. Charmés par sa musique, Charon et Cerbère le laissent passer. Sur le plat, à l’arrière-plan, Orphée, sur une barque, se dirige vers les Enfers, figurés par la ville enflammée, dans le fond.
1490 Mariage d’Isabelle d’Este avec François II de Gonzague, de Mantoue.
1494 La marquise commande un pavement en faïence aux emblèmes de la famille des Gonzague à Antonio Fedeli pour son studiolo au Castello San Giorgio (Mantoue).
1507 Sa fille Eleonore épouse Francesco Maria della Rovere et devient duchesse d’Urbino.
1520-1537 Période d’activité de l’atelier de faïence de Nicola di Gabriele Sbraga, dit Nicola da Urbino.
1424-1425 Nicola da Urbino réalise un ensemble de 22 pièces pour le service en majolique d’Isabelle d’Este.
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Orphée et Eurydice de Nicola da Urbino
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques. « Majolique La faïence italienne au temps des Humanistes » Jusqu’au 6 février 2012. Musée de la Renaissance, château d’Écouen. Ouvert tous les jours, sauf le mardi de 9 h 30 à 12 h 45 et de 14 h à 17 h 45. Tarifs : 6,5 et 5 euros. www.musee-renaissance.fr.
En partenariat avec plusieurs musées en Europe, le musée de la Renaissance à Écouen réunit une centaine de pièces de majolique dans une exposition visant à montrer l’influence du contexte humaniste sur la faïence. À travers soixante pièces, l’accrochage présente des céramiques ayant pour thèmes l’histoire, la mythologie ou les fables populaires. Après l’espace consacré à l’apparition du décor fantastique all’antica, et celui dédié au décor héraldique, des pièces du service d’Isabelle d’Este réalisé par Nicola da Urbino en 1524 évoquent la relation artistes/commanditaires. Le corpus est ponctué d’ouvrages ayant fortement inspiré la céramique de la Renaissance.
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°639 du 1 octobre 2011, avec le titre suivant : Orphée et Eurydice de Nicola da Urbino