Tandis que la Russie subit de plein fouet l’actuelle crise économique et financière, les Russes se tournent vers la culture pour retrouver leurs repères. Et vers la mode, pour rêver un peu…
"En Russie, il faut savoir s’adapter ", confie Olga Sviblova, directrice de la Maison de la photographie de Moscou. Et en ces temps de crise du système mondial, où tous les budgets à Moscou sont gelés « à l’exception des salaires et du chauffage », il faut s’adapter plus que jamais. Pourtant, cela ne semble pas avoir affecté le moral des acteurs du Festival international de Moscou qui vient de clore une 10e édition sur le thème « La Mode et le Style dans la photographie » certes un peu moins dense que la précédente, mais de bonne tenue, sinon ambitieuse.
La crise, une aubaine
Il faut dire que le festival connaît bien le phénomène de « crise », lui qui est né sous ses (mal)heureux auspices en 1999. À la fin des années 1990, la Russie vit une grave dépression. Olga Sviblova, qui vient tout juste d’inaugurer la Maison de la photographie [en 1996, lire L’œil n° 603], voit alors une nouvelle opportunité d’éduquer le public moscovite en lui apportant « les vraies valeurs de l’art ». La culture contre le marasme économique, en quelque sorte : le pari est audacieux.
Ainsi l’idée de créer un festival de la mode et du style, en alternance avec la biennale de photo existante, fait son chemin. Un court chemin, puisque le premier événement est monté en une année seulement. Tout devient si simple à Moscou quand on sait à quelles portes frapper… « L’argent n’est pas le plus important ici, confirme Olga Sviblova. Ce qui compte, c’est d’avoir un bon réseau de connaissances et d’amis. » Les nouveaux riches russes, qui ont bâti toute leur fortune sur la spéculation boursière et qui ont tout perdu ces derniers mois, ne diront pas le contraire ! Problème, ces derniers n’ont plus les moyens de « racheter leur âme avec l’art », et leurs portes se ferment désormais devant le festival et les artistes. Restent encore celles des oligarques...
Et le public ! Car en 2009, les visiteurs continuent de plébisciter les expositions et notamment celles consacrées à leur propre histoire. Ainsi des « Voyous des années 1980 », au Manège, et de la passionnante « Le Costume russe en photographie, xixe-xxie siècles », à la galerie Na Solyanke, où l’on apprend que le vêtement traditionnel doit sa survie au théâtre et à Khrouchtchev.
L’économie va mal, en Russie plus qu’ailleurs. La culture redevient essentielle et la mode, importante. L’exposition « Dior » au nouveau musée d’État d’Art contemporain de l’Académie des beaux-arts attire les foules. On dit que l’on ne se pare jamais autant que durant les temps difficiles. Ceci vaut aussi pour l’art.
Le festival « La Mode et le Style dans la photographie » n’est pas centré sur la seule photographie russe. Ainsi cette année, le Manège, vaisseau amiral de la manifestation, situé à deux pas du Kremlin, a mis en avant le travail de Guy Bourdin, dont les photos ont inspiré toute une génération de photographes de mode, Avedon en tête. Lartigue, autre Français, a eu lui aussi les honneurs du manège avec une belle sélection d’images – malheureusement desservies par de très mauvais tirages – faite sur le thème de l’aviation. Ailleurs, à la galerie des Beaux-Arts Tsereteli, les portraits coloriés à la main de l’Égyptien Youssef Nabil dialoguent avec les patines du temps des reportages d’Ogoniok tandis que, dans une salle voisine, Sibylle Bergemann s’impose comme l’une des plus grandes photographes allemandes. Retour au Manège pour un voyage, cette fois, dans « L’Amérique en couleur » des années 1930. À l’époque la Farm Security Administration commande un reportage à un groupe de photographes sur les dégâts provoqués dans les campagnes par la grande dépression. Preuve de l’universalité du sujet.
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Opposer la culture au marasme économique
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Abonnez-vous dès 1 €Informations pratiques. Si la majorité des expositions du festival « La Mode et le Style » ont fermé, trois accrochages restent cependant visibles en juin : « Erwin Olaf, recents développements », « Timofei Partschikov, Associations » et « David Lynch, The Air is on Fire ». Infos détaillées sur www.mdf.ru/english
Pinault au Garage ! Jusqu’au 14 juin, une sélection d’œuvres de la collection Pinault est présentée au public moscovite. À elles seules, les pièces de Viola, Flavin et Grimonprez valent le détour par cet ancien garage de bus signé par l’architecte constructiviste Konstantin Melnikov, en 1926 (www.garageccc.com).
Cet article a été publié dans L'ŒIL n°614 du 1 juin 2009, avec le titre suivant : Opposer la culture au marasme économique