Pour PhotoPhnomPenh, pas question d’élitisme, ni de donner des leçons. Mais, en revanche, de susciter des envies, de provoquer des rencontres et, finalement, de retrouver le chemin de la création.
Un voyage de près de quatorze heures avec correspondance à Bangkok ; arrivée à l’aéroport de Phnom Penh à 6 h 45, heure locale. Mais quel moustique a donc piqué le Centre culturel français (CCF) pour qu’il organise un festival international de photographie ici, dans la pauvre capitale du Cambodge, ancien protectorat français ? Quinze minutes de tuk-tuk, le taxi local, suffisent pour comprendre que l’image ne fait pas partie des priorités d’une population malmenée par la dictature de Pol Pot et plusieurs années de guerre civile.
Pourtant, pour Alain Arnaudet, l’attaché culturel à Phnom Penh qui est à l’initiative de la manifestation, et Christian Caujolle, le directeur artistique, la réponse à la question ne souffre aucune hésitation : il s’agit d’amener le Cambodge à la photographie. Non que le pays ne connaisse pas le médium ; « Ici, comme ailleurs, précise Arnaudet, les jeunes possèdent des appareils et des téléphones numériques. » Mais voilà, ils en ont oublié toute l’étendue des possibles. Quatre ans de régime khmer rouge, de 1975 à 1979, et deux millions de morts, dont seize mille dans la prison S-21 dirigée par Douch, que la justice cambodgienne juge aujourd’hui, ont fait table rase des artistes et des intellectuels. De l’histoire et des archives aussi. Tout juste reste-t-il « deux ou trois albums photos du XIXe siècle au Palais royal. Encore sont-ils inaccessibles », déplore Caujolle.
Préparer la photo de demain
Alors à Phnom Penh, comme à Siem Reap ou à Battambang où le CCF est présent, il s’agit de repartir de zéro. Cela ne signifie pas réécrire une histoire de la photographie dont il ne reste plus de trace, mais redéclencher une envie d’images chez une génération privée de référents. Pour cela, le festival aurait pu programmer une exposition Cartier-Bresson, Martin Parr ou Gursky, comme on le fait ailleurs. « Mais cela n’aurait eu aucun sens, défend Caujolle. Les ravages causés par les élèves des époux Becher sont déjà trop importants. Partout dans le monde on voit la même image réalisée à la chambre, et des photographes qui s’étonnent de ne pas atteindre les records du marché de l’art ! »
Non, le CCF a d’autres ambitions pour son festival « PhotoPhnomPenh », créé en 2008, qui invite de jeunes photographes français, suisses, slovaques, suédois, etc., reconnus par leurs pairs sans être stars du marché, à venir confronter leur vision et leur pratique du métier à celles de jeunes photographes locaux, parfois amateurs. Ils s’appellent Isabelle Vaillant, Jean-Robert Dantou, Quentin Bertoux, Steeve Iuncker, Martin Kollar ou Lars Tunbjörk, et viennent exposer aux côtés de Lim Sokchanlina (22 ans), Sovann Philong (23 ans) et Phalina (23 ans). Tous ont débarqué à Phnom Penh pour rencontrer des lycéens, des étudiants en beaux-arts ou en journalisme, ou pour travailler en binôme avec leurs frères cambodgiens (projets intersections).
« Nous ne cherchons pas à écraser les jeunes d’ici sous le poids des références, plaide Alain Arnaudet, ni à leur imposer des workshops sur le modèle des Rencontres d’Arles. Ce que l’on veut, au contraire, c’est rompre avec l’éducation des maîtres. Placer les photographes en situation de travailler dans les mêmes conditions, sans hiérarchie. À la limite, le résultat des “intersections” nous importe moins que les fruits qui mûriront de ces rencontres. »
À l’arrière-plan de cette profession de foi d’un attaché culturel qui devra quitter ses fonctions trop tôt, en 2010, six grands écrans remontent le fleuve Tonlé Sap sous les yeux des habitants de Phnom Penh. Ils diffusent les images d’un étonnant festival décidément situé à des milliers de kilomètres de ce qui se fait ailleurs.
La deuxième édition de « PhotoPhnomPenh » a été clôturée le 21 décembre dernier. Si les 22 expositions du festival étaient disséminées dans la capitale, le festival est également allé à la rencontre des habitants dans les rues de Phnom Penh. Six « bateaux images » ont ainsi remonté la rive du Tonlé Sap pendant une semaine. Des projections, certaines accompagnées par le musicien Louis Sclavis, ont été organisées dans des quartiers populaires de la ville et à l’École des beaux-arts.
Bien connue des Arlésiens, la « Nuit de l’année » a fermé la semaine d’ouverture sur 12 écrans géants plantés près du Palais royal. Deux expositions, dont une réalisée spécialement par Jean-Christian Bourcart, ont été présentées au cœur du marché local, le marché O’Russey. Enfin, les murs de l’ambassade de France accueillaient les photos du Coréen Myoung Ho Lee (ci-contre). www.ccf-cambodge.org
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« Nous voulons rompre avec l’éducation des maîtres »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°620 du 1 janvier 2010, avec le titre suivant : « Nous voulons rompre avec l’éducation des maîtres »