Démonstration eurocentrée, lecture ethnographique, rencontres esthétiques, de quelle nature est le dialogue engagé à la fondation Ernst Beyeler, à Bâle ?
Explications avec Oliver Wick, commissaire de l’exposition.
L’œil : « Le primitivisme dans l’art du XXe siècle », exposition montée en 1984 au MoMA par Rubin, a fait grand bruit. Elle était construite comme un face-à-face démonstratif qui balayait la lecture ethnographique des arts primitifs. Comment vous situez-vous par rapport à cette proposition inaugurale ?
Oliver Wick : La question était très simple : comment présenter l’art moderne et contemporain avec l’art ethnographique ? Et nous voulions justement y répondre sans retomber dans ce qu’avait fait Rubin. Son projet était de chercher des sculptures primitives et tribales dont on pensait qu’elles avaient effectivement influencé directement tel ou tel artiste moderne. L’exercice limitait un peu la force créatrice des arts non-occidentaux et celle des artistes modernes.
L’œil : Quel a été le point de départ de l’exposition ?
O. W. : La propre collection d’arts premiers d’Ernst Beyeler en est incontestablement le fil rouge. C’est là que je me suis rendu compte qu’une partie de notre public nous connaissait mieux pour nos trésors Mumuye ou Senufo que pour nos chefs-d’œuvre de l’art moderne !
L’œil : Ernst Beyeler a-t-il mené cette collection indépendamment de sa collection d’art moderne ?
O. W. : Il en faisait une lecture assez traditionnelle : pour lui, l’Afrique, c’était Picasso ; l’Océanie, c’était Matisse et les surréalistes. Beyeler a montré de l’intérêt pour les arts non-occidentaux dès les années 1950, mais sa véritable collection a démarré dans les années 1970. Et, en 1984, l’exposition Rubin a agi comme un catalyseur. C’est là qu’il a commencé à acheter stratégiquement quelques chefs-d’œuvre.
L’œil : À partir de là, comment donner une cohérence à l’exposition ?
O. W. : Nous avons repéré dans la collection les pièces d’exception que nous avons associées à d’autres sculptures de la même ethnie, de manière à créer des groupements, par salle. Un peu comme une succession de petites expositions. Nous avons finalement opté pour des dialogues très ouverts. Les face-à-face sont établis sans hiérarchie ni illustration.
L’œil : Vous êtes donc partis des arts non-occidentaux ?
O. W. : Exact. Chacune des douze salles est nommée par à un groupement de statuaires issues d’un seul peuple. C’est d’abord une exposition de sculptures. Les peintures sont largement minoritaires. Je voulais être précis. Par exemple, face aux sculptures Senufo, sont placés deux portraits peints par Cézanne. Le fait de ménager des murs nus et de privilégier quelques focus crée une tension visuelle très forte.
L’œil : De quelle nature sont les rapports établis ?
O. W. : Je ne voulais pas de rapprochements illustratifs formels. J’ai mis par exemple un groupement de statuaires du Nukuoro – une petite île du Pacifique – en rapport avec une toile du Douanier Rousseau. On connaît aujourd’hui à peine une trentaine de ces sculptures Nukuoro dans le monde, et toutes partagent un même épurement quasi abstrait des formes. Je les ai associées au Lion ayant faim se jette sur l’antilope (1898-1905) et j’y ai ajouté deux sculptures européennes : une Muse endormie et notre Oiseau de Brancusi. C’est la clarté formelle des uns et de l’autre qui dicte la nature du dialogue.
L’œil : Du coup, le regard porté sur les œuvres non-occidentales est lui aussi strictement esthétique ?
O. W. : Sans doute. Mais nous ne sommes pas un musée ethnographique ! Je me suis à chaque fois concentré sur un type de sculpture. Procéder à des groupements comme nous l’avons fait, c’est aussi une manière d’appréhender les pièces dans leur évolution stylistique. C’est particulièrement vrai pour la salle consacrée aux Senufo.
L’œil : Les historiens font remonter le dialogue entre les arts premiers et l’art moderne à 1906-1907. Pourquoi ouvrir l’exposition avec Claude Monet ?
O. W. : Disons que c’est une mise en regard virtuelle : deux crocodiles rituels du fleuve Korewori de Nouvelle-Guinée, un tambour du Vanuatu et deux statues anthropomorphes Abelam juxtaposées à une Cathédrale de Rouen et au Bassin aux nymphéas de Monet.
Évidemment Claude Monet a bien davantage eu affaire avec la vague japonisante qu’avec les arts premiers, mais là encore, c’est le pouvoir visuel d’une sculpture ou d’une peinture sur le spectateur, décuplé par la monumentalité des œuvres, qui a généré l’association.
L’œil : Pourquoi avoir écarté les expressionnistes allemands alors qu’ils furent de ceux qui s’intéressèrent le plus aux arts primitifs ?
O. W. : Parce que ce serait une autre exposition, dans le sillage de l’exposition Rubin, qui racontait l’histoire des échanges repérés entre les artistes modernes et les arts non-occidentaux. Ça n’est pas une histoire d’influences que nous inventorions. Comment traiter les formes, de quelle nature sont les énergies qui frappent le spectateur, j’espère que les confrontations que nous mettons en jeu nous portent un peu plus loin.
Informations pratiques. « La magie des images – L’Afrique, l’Océanie et l’art moderne » jusqu’au 24 mai 2009. Fondation Beyeler, Bâle. Ouvert tous les jours de 10 h à 18 h, le mercredi jusqu’à 20 h. Tarifs : 15 et 8 e. www.beyeler.com
Art du métal en Afrique. Toujours en Suisse, le musée Barbier-Mueller, créé par le collectionneur Jean-Paul Barbier-Mueller, présente jusqu’au 15 février une exposition sur l’utilisation du métal en Afrique comme matériau d’un artisanat diversifié et complexe. Travaillés par les fondeurs ou les forgerons, le cuivre et le fer deviennent indispensables à la production d’objets de culte ou de prestige, de monnaies, d’armes et d’outils. L’exposition montre une sélection variée, des statuettes du Mali réalisées grâce à la cire perdue aux reliquaires, en passant par les monnaies.
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« Nous avons opté pour des dialogues très ouverts »
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Abonnez-vous dès 1 €Cet article a été publié dans L'ŒIL n°610 du 1 février 2009, avec le titre suivant : « Nous avons opté pour des dialogues très ouverts »